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Fragments: Les filles qui aimaient

Dernière mise à jour : 14 janv. 2020



Betty aimait les ruptures à rebonds – Ode aux cœurs en sauts de biche


Betty aimait les ruptures à rebonds. Celles qui ne s’annonçaient pas clairement. Celles qui ne définissaient pas de manière tranchantes. Elle aimait à dire que les couples étaient comme les soudures. Toujours soumis au point de rupture. Ce fameux point qui se calculait dans le fin fond des ateliers de métallos. Celui qu’il fallait bien négocier pour répartir la charge, la pression. Si le calcul était faussé, erroné, alors le poids se nichait sur ce point de rupture et la soudure se brisait, se pétait, avec le cri du déchirement et le cataclysme de la catastrophe.


Tous les couples dansent sur ce point de rupture. La rupture est omniprésente dans un couple. Toujours là, tapie, sournoise et en même temps, l’idée même de cette potentielle rupture est vitale et garante de la liberté individuelle.

Certains couple ont bien calculé. Le point de rupture est précieux. La charge bien répartie et la soudure tient à vie.

D’autres ont pensé que le calcul était bien fait. Mais au fil du temps, ils sentent bien que le point de rupture se fragilise, que la pression s’alourdit et que la soudure va finir par s'user, se fendre et aux limites du paroxysme, exploser.

D’autres encore, savent dès le début que la soudure est défectueuse, mais ils veulent quand même essayer.


Betty avait appris cette métaphore ouvrière avec un vieux voisin. Paulo. Paulo, c’était plus qu'un voisin, c’était un maître dans l'apprentissage des petites réparations de l’existence. Grâce à lui elle savait changer les roues de sa petite voiture, charger une batterie , brancher un radiateur, réparer un tuyau de douche. Un vieux monsieur, trop vieux, trop grisonnant, trop maigrichon, pour espérer de Betty un baiser ou même l’effleurement de la main. Alors il se contentait de lui mater les cuisses quand elle les offrait aux regards, sortant de dessous ses jupes. Betty aimait ce vieux voisin. Elle l’appelait son ange. Son ange gardien et protecteur qui la tirait de l’embarras dès qu’elle se sentait dépassée par les petits tourments de la réalité. En échange, elle lui récitait de la poésie, elle lui expliquait comment elle voyait la vie.


Et ce matin là, alors que Paulo, la tête dans le moteur de la mini voiture, remplaçait la courroie de distribution, Betty lui racontait:

« Tu vois Paulo, rompre avec quelqu’un , c'est comme arrêter de fumer. Il faut s'y reprendre à plusieurs fois. Il faut se concentrer. Il ne faut pas culpabiliser si on n’y arrive pas tout de suite. Il faut continuer à se persuader que c’est une décision pénible mais juste et que ça prend du temps avant que le corps la comprenne et l'accepte. La tête fait son chemin et le corps se bat contre la situation. Tout se joue au mental. Comme les joueurs de tennis. Surtout, il ne faut pas l’annoncer à l'entourage, car à la moindre rechute, les regards deviennent réprobateurs. Les "mais tu avais dit que c'était fini", les "tu sais bien qu'il n'est pas pour toi", les "tu vas encore avoir mal", les "mais t'es con ou quoi?", fusent en pagaille et s'abîment dans ton conflit intérieur, entre ta tête et ton cœur. Ce genre de remarques ne font qu’attiser davantage le conflit.

Cette dure bataille te laissera sur le flanc, comme un pauvre soldat de l’amour se battant avec la peur du vide et l’infinité de la caresse.

Ouais, Paulo, tu vois, rompre c’est comme arrêter de fumer. Ca demande du temps et mille précautions. Et puis merde. Parfois un soir, alors que t’as pris LA décision, tu te sens grand, mature, à l’écoute de la justesse intellectuelle de la situation. Et bien, malgré cela, tes doigts se perdent dans le paquet de tabac, tes ongles s’agrippent au filtre, tes mains amènent la cigarette sur le bord de ta bouche. Ton briquet, dans un bruit incandescent, fait flamber le bout de la clope . Dans une ample respiration, toi, le soldat de l’amour, au garde vous devant les codes de la bonne conduite, tu tires une latte qui s’envole en fumée. Une latte, comme un nouveau corps à corps, comme une ultime valse, comme un dernier fou rire avec l'être que tu as pourtant décidé d'abandonner.

Tu te jures que c’est la dernière mais tu reprends une taffe.

Tu tires de nouveau sur la minuscule cordelette de l'amour.

Le petit vélo dans ta tête, appuie sur la sonnette d'alarme. La pensée judéo chrétienne du « mal » tournoie bruyamment et persifle sa sonnerie d’alerte. Tu rentres en zone rouge. Tu te dis que "fumer tue", qu’il y a le cancer, que tu vas tousser demain, que tu ne pourras plus monter les escalier 4 à 4. Mais tu t’en fous. Tu t’en fous éperdument. Tu continues de fumer cette machiavélique cigarette. Tu comprends Paulo ?

La tête dans le moteur, Paulo baragouine :

-Je sais pas , j’ai jamais fumé...

-Mais voyons, Paulo, c’est une comparaison poétique. Pour t’expliquer que même en amour, il y a des rechutes. Des putains de rechute. Qu’une rupture c’est comme une course de lapin, il y a des bonds et des rebonds.

-T’énerves pas, poupée. Je comprenais mieux avec la clope, qu’avec le lapin. Continue.

-D’accord. Alors, tu es le soldat de l’amour qui prend une bouffée, encore et encore. Tu profites de ce bonheur entêtant procuré par la drogue dure qu’est le désir. Et dans la nuit, tu écrases la cigarette. Tu rhabilles l’amant ou l’amante avec délicatesse. Tu ne veux pas casser vos deux cœurs de porcelaine fragilisés par cette rupture inachevée…Tu te promets qu’un jour, tu réussiras à arrêter définitivement.

Il y en a pleins qui y sont arrivés. Pourquoi pas toi ? Mais tu sais qu'à tout moment, tu peux replonger la main sur le paquet. Hé Paulo, tu crois que c’est grave ?"


Paulo redressa sa vieille carcasse. Sortant sa tête de bon vieux monsieur, du capot, comme une petite souris prise en défaut.

« Je sais pas réparer les cœurs, belette, alors savoir si c’est grave ou pas…Par contre pour la courroie c’est impecc’.."

Dans la cour du garage, on a entendu l’éclatement du bruit du capot qui se referma. Betty fouilla dans son sac à la recherche d’une cigarette.


-----------------------------------------Betty aimait les ruptures à rebonds----------------------------------

Eugénie aimait l’orgueil- Ode aux mèches des cheveux des filles

Eugénie aimait l’orgueil. Enfin surtout le sien. Celui des autres pouvait l’incommoder infiniment.

Mais le sien, elle l’aimait, elle le préservait, elle le protégeait comme un petit enfant. Elle disait qu’il était le pendant de sa dignité.

Son orgueil était comme une étole dans laquelle elle s’enroulait à grands coups de gestes théâtraux.

Il lui servait de carapace quand les autres lui pinçaient l’âme. Quand les autres, perclus dans leur propre orgueil, la délaissaient, l’incomprennaient.

Ce moment insoupçonnable où les orgueils humains se percutaient comme les bois des cerfs en période de rut.

Bam, le choc.

Les orgueils, alors, se fissurent, mais résistent toujours et encore, car l’orgueil est le dernier rempart avant la souffrance, avant de mettre du sel dans la blessure narcissique.

L’orgueil, joli jouet pour garder bonne figure, alors que tout à l’intérieur, ça fond, ça se ramollit comme une vieille motte de beurre rance abandonnée sur le bout d’une table en formica.

Et ce matin là, Eugénie a eu besoin de son orgueil chéri, pour ne pas pleurer, pour ne pas sauter du pont de sa confiance, pour ne pas se pendre avec le reste d’estime qui lui pendouillait au niveau de l’estomac.

La femme devant elle, venait de lui décocher une flèche improbable dans le corps.

Un refus.

Un refus qu’Eugénie, reçut comme une vieille gifle puante d’injustice. Comme un mur qui s’effondre, pile sur tes godasses, à l’endroit exacte de tes orteils et qu’ainsi chaque métatarses se cassent et explosent en millions de petits ossements. Et ça fait mal. Hein, ça fait mal. Oh oui, ça fait mal. La même douleur fulgurante qui vous envahit quand les enfants cruels appuient à l’endroit précis d’un hématome, en te demandant « c’est bien là que tu as un bleu ? » avec leur petite bouille d’angelot, penchées délicatement sur le côté.

Un refus incompréhensible qui inondait la tête d’Eugénie , qui la noyait dans le tsunami d’une peine indéfinissable.

Eugénie se sentit devenir une minuscule souris, voire même une minuscule crotte de souris, voire même la moitié d’une minuscule crotte de souris, voire même une miette de crotte de souris. Une espèce de toute petite chose que l’on balaie d’un revers d’ongle, avec une moue de dégoût.

Et Eugénie ne comprenait pas. Ne comprenait pas pourquoi, à cet instant précis, elle avait l’impression que l’univers entier était entrain de lui vomir dans le décolleté.

Eugénie prit alors la décision de se redresser face à sa souffrance, de rester debout devant sa frustration, de dire au monde entier qu’il ne méritait ni sa haine, ni cette désarmante tristesse, ni ce zéro glacial qui venait de dégringoler sur le thermomètre de sa confiance.

Elle s’empara de ce thermomètre et le retourna face à ce rempart anonyme qui ne voulait pas d’elle afin de le lui enfoncer bien profond dans le rectum.

Après ça, elle plongea son regard de hyène, dans les yeux de cette femme qui venait de la refuser- et qui à cette minute même payait pour tous les refus passés et futurs- un regard d’actrice hollywoodienne. Ses cils grandissaient à la vitesse de l’éclair. Son iris devenait du plus beau bleu pétrole. Elle claqua la porte de sa bouche. Elle se claquemura dans un silence de reine. Elle se drapa dans son étole d’orgueil, elle releva son cou et s’en alla telle une muse d’Égypte ancienne.

L’étole était chaude et douce comme un doudou.

Elle prit bien gaffe de ne pas se prendre les pieds dedans. De ne pas se rétamer sur le trottoir de l’univers pendant que les yeux du monde la guettait partir comme une lionne déterminée. Certes un peu blessée mais déterminée.

Surtout continuer à mentir, à surjouer, au moins jusqu’au bout de la rue.

Alors elle pourra faire tomber le doudou écharpe et se laissait aller, qui sait, à pleurer.

---------------------------------------Eugénie aimait l’orgueil-------------



Paola aimait la tendresse. Ode aux hommes perdus.


Paola aimait la tendresse.

Paola aimait les mots doux percutants sur sa peau de laine.

Après avoir aimé les uppercuts, la passion, la dévoration, le temps fusion sur le fil du fusain, Paola avait fini par aimer la tendresse.

La pure, la juste, l’inconditionnelle.

Paola aimait les mots tout en chair. Ces mots prononcés par les hommes, qui deviennent au cœur de la nuit de simples petits garçons en quête de sens. Paola savait donner du sens. Elle le déposait sur le cœur des hommes cabossés et peureux.

Paola avait aimé des mecs, des cons, des chiennards, des égoïstes, des attentistes, des inventifs. Et puis elle s'était recentrée sur ses envies et avait laissé la solitude répondre à ses questions.

Aujourd'hui elle pouvait le dire, avec une infinie douceur : elle aimait la tendresse. Celle qui se culbute, celle qui se retourne, celle qui se fait l’amour par tous les bouts, celle qui apaise sans attendre de l’autre, celle qui repose, celle qui interroge, celle qui réveille dans la nuit, celle qui te dit : « Mais que veux tu, toi ? ».

Paola écoutait le son de son sang qui battait dans ses oreilles. Paola aimait écouter la vibration sourde de son cœur résonnant comme le bruit des langoustes au milieu des roches poreuses du fond de l’océan.

Et Paola avait trouvé dans un homme en entier, cette puissante tendresse qui surpassait l’amour.

C’était un homme de peu, qui se présentait comme un roi.

Un étranger, un naufragé, une grande gueule, un clown, un vice, une perturbante obsession, une nouveauté passagère.

Un vent nouveau qui soufflait dans ses voiles d’égérie libertaire.

A côté de lui, Paola se sentait reine, Paola se sentait femme, Paola se sentait petite fille, Paola se sentait prêtresse, Paola se sentait seule mais libre, Paola se sentait remplie et unique, Paola se sentait surtout en accord. En accord avec son besoin. Celui de ressentir de la tendresse et de prendre dans ses bras, de temps en temps, quand la vie fait le bon chemin, que la temporalité se fait conforme, quand la bienséance fait un gros fuck au conditionnement, un homme tout petit et très grand. Un homme de facette et de farce qui pourtant baissait les armes quand il était dans ses bras de sorcière.

Paola aimait un homme qui lui donnait de la tendresse.

Paola est nue sur le bord de sa route intime. Avec son goût pour la tendresse, pour la folie. Et sur le creux de son épaule, il y a cet homme, comme un petit ange endormi qui se repose le temps qu’il faut. Paola prend l’homme tout petit dans ses mains. Elle souffle sur lui pour le réchauffer. L’homme se transforme en une plume d'ange. Elle trempe cette plume dans l’encre.

Attention elle va écrire.

Toute bercée par cette tendresse.

---------------------------------------Paola aimait la tendresse--------------------------------------

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