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Photo du rédacteurmorwennaprigent

Pamphlet de la petite fille et de l'ombre

Pamphlet de la petite fille et de l’ombre

La petite fille est là. Les deux pieds dans une flaque, le visage fier tendu vers le ciel, les deux bras levés vers le soleil, la gorge déployée, les yeux mi-clos, la bouche apaisée et harmonieuse. Goûtant juste au plaisir d’être un petit être debout au milieu d’une nature propice, dégageant l’humeur malicieuse d’avoir fait ce pas de côté : mettre les deux pieds dans une flaque. Une flaque de pluie nouvellement tombée sur le bitume de septembre. Un goudron encore chaud et festif, tout rempli de cette langueur d’août, de ce parfum d’insouciance que livre les vacances.

Regardez-là, comme elle est belle. Elle. Petite fille d’un morceau de France. Toute debout, vivante, sans aucune conscience de sa valeur, sans aucune idée de ce qu’est être une fille. Elle sait simplement que son cœur bat, qu'elle est bien et sans doute, se doute-t-elle qu’elle est libre… Et encore…. Se fredonne en suspens au dessus de sa tête, le son de sa puissance. Sans le vouloir, il y a comme une intelligence dans sa posture. Elle laisse passer autour d’elle, les tourbillons de cette humanité rapide qu’elle va devoir un jour ou l’autre conquérir. Pour le moment elle ne comprend pas le retour à l’ordre moral, elle ne connaît pas les combats de ses aînées, elle ne sait pas qu’être une fille est un peu compliqué. Elle n'a pas de recul sur le chaos de la nature. Elle n’a pas connu le monde sans orages, sans ouragans, sans manque de saison, sans canicule, sans embrasement, sans trombe diluvienne. Tout cela, elle est née avec, ça lui semble normal, ça lui semble immémorial. Elle n’a pas connu les poulets sans antibiotiques, les vaches sans veau, les villes sans pollution, les pollens sans pesticides, les milliers d’abeilles sur les lavandes de juillet. Elle a les deux pieds dans une flaque, elle sait qu’il pleut, qu'il bruine, qu'il vente, que le soleil chauffe fort, que la lumière blanche lui fait plisser les yeux, que les airs conditionnés la font tousser, que les adultes sont branchés sur un petit écran qui s’appelle le téléphone et pour cela, ils leur arrivent d'avoir la tête ailleurs et de ne pas répondre à ses questions.

Elle ne sait pas que les femmes autour d’elles, ont gagné leur liberté. Elle ne sait pas qu'un jour elle fera l'amour, qu'elle jouera de son corps libre, qu'elle pourra contrôler sa contraception, qu'elle pourra faire des enfants quand l’envie lui viendra, ou ne pas en faire sans que cela ne pose un quelconque problème. Elle ne sait pas encore qu’être mère n'est pas l'épanouissement ultime, mais qu’il peut y contribuer seulement si, elle-même, le souhaite. Elle ne sait pas qu’elle pourra travailler ou être oisive, qu’elle pourra ne jamais vraiment être adulte si le cœur lui en dit, qu’elle pourra gérer sa manière à elle d’être responsable, qu'elle pourra fumer des cigarettes, qu’elle pourra être excessive, sauvage, collectionneuse, naïve et cruellement intuitive. Qu’elle pourra rentrer dans les églises juste parce qu’elles sont magnifiques, lâcher ses cheveux dans les mosquées, nager dans les eaux du monde, faire la mayonnaise quand elle a ses règles, rentrer à n'importe quelle heure de la nuit, ne pas avoir peur, négocier, rêver, discuter. Elle ne sait pas que ses paroles auront un poids dans l'agora.

Pourquoi ? Ca ne se faisait pas avant ?

Elle ne sait pas que tout ce qu’elle pourra faire a été élaboré par des générations de femmes qui ont relevé la tête pour dire qu’être une fille était une force . Elle ne sait pas encore que les petits garçons qui jouent à la guerre autour d’elle et de la petite flaque, ont un sacré boulot à faire pour devenir d’autres hommes, pour s’émanciper du patriarcat, pour se rêver en hommes justes, libres et égaux. Et que pour toutes ces grandes choses il faudra qu’ils travaillent dur sur leur image, sur leur légende, sur leur paquet de transmissions, sur leur lourd passé , afin, un jour, de devenir l’égal des filles. Ils auront alors à réprimer leur envie de pouvoir. Le pouvoir « sur ». Sur le monde, sur les femmes, sur l'argent, sur la famille. Le pouvoir qu'on leur a légué, sans plus trop y faire attention. « Sois un homme mon fils » . Ce petit pouvoir biaisé par des années de domination.

La petite fille n’a pas encore échafaudé ce raisonnement: qu'ensemble, elle, les filles et les gars, devront sauter à pieds joints sur le sacré pour défoncer cet héritage et rebâtir une autre ère. Celle où les garçons trouveront logique de ne pas juger, ne pas dominer, ne pas utiliser, ne pas passer à côté, ne pas forcer, ne pas négliger, ne pas fuir. Celle où les garçons trouveront normal d’écouter, de prendre en considération, de parler de leur émotion. Celle où ils sauront s’en sortir avec tout ça, sans lutte et sans culpabilité. Celle où les garçons devront se battre pour ne pas ancrer en leur dedans le rôle de celui qui assure, qui rassure, mais devront cultiver celui qui est là, à côté, sur la même ligne … Ils auront alors , tranquillement, doucement, prudemment et avec le recours bienveillant des filles entrepris leur révolution masculine. Et les soirs de conversation autour des verres d'alcool, ils seront tous et toutes enfin sur la même marche de l'escalier qui grimpe dans le brouhaha de la vieille société moribonde. Les uns comme les autres, auront leurs combats à raconter, leurs anecdotes, leurs rêves, leur position juxtaposée. Et ils pourront faire frissonner le langage de la séduction en toute quiétude exaltée.

La petite fille, les deux pieds dans la flaque finira par comprendre cette immense toile d’araignée faite de raisonnement et de dépendance, grâce à cette grande ombre qui s’étend à coté d'elle. L'ombre d'une femme qui lui tend la main pour qu’elle s'y love, pour qu'elle y trouve sa part de rassurance, son petit îlot d’insouciance. Cette femme, un jour lui racontera par petites touches ou par un long discours cette histoire, ces nœuds à détricoter, ces valeurs, cette chance d’être vivant et de devoir faire bouger les lignes, ce plaisir à repenser une utopie réalisable, celle de la vraie égalité. La petite fille sort les pieds de la flaque et relève son visage vers l’ombre qui lui sourit. Elle prend la main de l’ombre. Et les deux silhouettes s’éloignent. La fille et la mère. Deux femmes qui marchent. Et on entend alors l’éclatement de la musique de leur pas qui frappe le bruit du monde. Attention le cliquetis de leurs rires va bientôt résonner. Comme vibrerait un hymne à leur intégralité. Entières jusqu’à demain et plus loin.



-------------------------------Pamphlet de la petite fille et l’ombre--------------------------------

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