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Mon temps des confinés



Chronique de confinement 24 :

La rêlache


Ce matin j’ai pris mon camion.

Télécharger encore, une fois, la fameuse attestation dérogatoire sur l’écran de mon smart phone.

Je me suis de nouveau sentie obligée de répondre à un ordre commun. Un ordre déplacé.

Pourquoi les autorités en place dans ce pays, dans cette Europe financière, dans ce monde libéral, nous ont-elles mis dans un tel état de docilité crasse?

Je réponds à des injonctions immondes. Et cela depuis 2 mois.

« M’ssieurs, dames, pourquoi vous déplacez-vous ? Est-ce nécessaire ? »

Nécessaire ? La liberté de me mouvoir à ma guise, est-elle nécessaire?

Attendez, bande d’enfoirés, moi je n’ai pas demandé que la terre soit si furieuse, que les virus s’emballent, que l'économie s'écroule, que ma simple présence sur cette terre doit être justifiable.

Non, franchement, je n’ai rien demandé. Je fonctionne avec les nouveaux codes. Et je remarque que mon inconscient se rebelle légèrement face à ce paquet de conneries.

Les discours des élus de la République sont de plus en plus inaudibles.

Macron parle aux intermittents, aux cultureux. Il se met en bras de chemise et ébouriffe ses cheveux, pour faire style :

« Je suis de votre monde, les gars. J’suis décontracté. Le gland au frais. Les paroles tranquilles. Les licences poétiques bordéliques placées en climax de mes discours. »

Des plans de communication abjectes.

Il nous demande d’enfourcher des tigres. Ou de devenir Crusoé. Il nous demande d’aller exercer nos métiers dans les écoles ou dans les colos. De faire de la culture pour tous.

Mais, Monsieur le Président, découvrez-vous, nos métiers ?

Ca fait bien longtemps que nous traînons nos miches dans les cours d’écoles, de collèges ou de lycées, dans les amphis des facultés, dans les couloirs des hôpitaux, entre les tentes des gamins de colos, dans les salles multifonctions des prisons.

Oui, bien longtemps…

Cela fait bien longtemps que notre langage créatif navigue dans toutes les strates d’une société.

Et, à l’époque, rappelez- vous, monsieur le Président, vous nous mettiez des bâtons dans les roues.

Avant.

Avant le temps historique du corona.

Nous disant que ceci, ce n’était pas de l'art. Que c'était de la pédagogie.

Nous trichions, en ces temps là, avec vos critères, pour faire rentrer ces heures, dans le cadre du statut de l’intermittence.

Maintenant, vous nous demandez, de sauver nos heures ainsi.

« Vous ne pouvez plus jouer, alors, animer. »

Animer quoi? Nous ne sommes pas des fous du roi.

Nous sommes des colériques, des passionnés, des braises de désirs, des poètes.

Et nous avons compris, depuis un paquet d’années, que nos mots et nos façons de voir le monde, pouvaient servir une pensée.

Ouvrir les champs de bonheur.

Relier les gens entre eux et à eux mêmes.

Les câbler à leurs tréfonds, à leurs consciences et à leurs plaisirs.

Ne venez pas nous donner de leçons, par pitié !

C’est fou, comme on nous prend pour des cons.

Ca restera éternel.

Je pleure sur le monde.

Je pleure sur le fait qu’on nous prenne pour des enfants. Incapable de recul.

Mais, monsieur le Président, du recul nous en avons. De la défiance, nous en sommes saoulés.

Nous sommes confits, comme des fruits, par vos approximations, par vos inconnus, par vos lointaines acceptations.

Alors, il est vrai qu’à 3 jours du déconfinement, pleine de tant de tourments et d’amertume, l’attestation, je n'y pense quasiment plus.

La veille en rejoignant la maison du père de ma fille, en vélo, sous le soleil chaud de mai, je l’avais complètement zappée.

Arrivée au bourg de la petite ville interface entre les deux maisons (la mienne et celle du père de ma fille), la police était placée au rond point.

Factuelle répression.

En les voyant de loin, j'ai pris peur.

Une peur de petite fille, prise la main dans le sac.

Une peur de ne pas pouvoir payer mes 135 euros de pénalité.

Hé, je n’ai plus une tune qui rentre dans mon portefeuille en ce temps de suspens économique. Je n’allais quand même pas payer une contravention pour un oubli aussi minable, pour une relâche basique de l’esprit à 3 jours du déconfinement.

En les voyant, je me suis donnée deux choix avec une ultra rapidité.

Soit palabrer le bout de gras, soit éviter ce contrôle impétueux.

Alors j’ai choisi la deuxième solution.

J’ai bifurqué au carrefour, me rajoutant 5 bornes de plus dans les guibolles, afin de ne pas avoir à me justifier.

Nous nous sommes fortement habitués à cocher des cases démentes. Et pourtant l’esprit arrive aussi à s'y déshabituer avec une vitesse hallucinante !

Je ne sais pas ce que sera le monde d’après.

Mais ce matin en partant en camion -avec mon attestation bien archivée dans mon téléphone- j’ai vu des gens dans les jardins faire chauffer les barbecues. J’ai vu des enfants se courir après sur les bords des routes. J’ai vu des femmes se sourire tranquillement. Des livres s’échanger de mains à mains. J’ai entendu des rires exploser dans le ciel de mai.

La France va se déconfiner dans 3 jours.

Aujourd’hui c’est relâche.

Nous nous raccrochons à notre humanité.

Cet après midi je vais aller goûter chez des amis.

Ma fille m’a joliment dit :

« J’ai de la chance, je vais pouvoir jouer avec Louise et Rilès. »

Jouer est devenu une chance.

J’embrasse tes cheveux, ma fille. Et je m’excuse. Moi aussi, je subis.





Chronique de confinement 23 :

Les pétards mouillés de juillet.

Hé les mômes, hé les grands! Oyé les gars, Ouech les filles! Les vieux, les jeunes, les petits, les émotifs, les armoires à glace… la nouvelle est là, elle se murmure, elle se diffuse :

« Cette année, pas de feux d’artifices du 14 juillet. »

Vous le savez, le corona continue sa longue traversée sur la planète.

Il faut vivre avec, qu'on nous a dit.

Donc, pas de boules de feu s’éclatant dans les voûtes noires des nuits de France.

Nous n’aurons pas le loisir d’entendre le son envoûtant des fusées de lumière déchirant les cieux en formant des gerbes d’étoiles éphémères.

Nous n’aurons pas l’occasion de nous émouvoir collés-serrés, s’exclamant bruyamment : « Oh la belle bleue, oh la belle verte ».

N'arriveront pas à nos oreilles, les interrogations criantes des enfants :

"c'est quoi un bouquet final?".

Nous ne ressentirons pas dans notre ventre l’onde de choc des explosions d’artificiers

Les places de villages, ne seront pas gorgées de monde s’extasiant sur cette aberration inutile mais tellement jolie. Cette poésie technique. Ces lambeaux puissants de couleur qui déchirent en hauteur, au dessus de nos têtes, les paysages et les reliefs.

Pas d’illuminations au-dessus de la mer. Pas de crépitations sur les cimes des collines. Pas de tintamarre à minuit.

Nous ne recherchons pas désespérément à le voir depuis nos terrasses ou nos balcons.

Il n’y aura pas de chanceux qui pourront s’en régaler de 2 ou 3, suivant, d’où vient le vent.

Les animaux ne se demanderont pas ce que trament les humains.

Personne ne s’abêtira à se dire :

« Quand même, c’est super beau. »

Aucun ne s’interrogera sur la signification de ce grand feu de joie.

« Pourquoi il y a ça déjà ? On fête quoi ? Les pompiers ? »

Mais non, la prise de la Bastille, voyons !

« La prise de quoi ? »

1789 .

« Oh, tu sais, moi, j’étais pas né. »

Les gamins ne seront pas juchés sur les épaules. Leurs visages déformés entre la crainte et la jubilation. Les mains sur leurs oreilles.

« C’est fort, ce boucan ! »

Oui, un feu d’artifice, comme un carnaval, ça n’a pas beaucoup de sens, c’est juste exaltant.

Le 14 juillet sera calme. Les enveloppes budgétaires allouées à l’évènement seront pleines.

L’occasion fait le larron.

Alors dans les arcanes de mon secteur (les acteurs des arts de la rue) nous nous sommes dit, insidieusement, que cet argent pouvait être fléché vers d’autres rendez vous.

Nous rêvons que ce pactole puisse être ré-investi dans une explosion de spectacles. Des tous petits spectacles. Comme ces minuscules éclats de poudre qui pètent et s’effacent à grande vitesse.

Nous avons réfléchi. Tourné et retourné les questions, les modalités.

« Il ne faut pas inquiétez les mairies. Il faut proposer ou créer rapidement des spectacles corona compatibles. »

Nous en sommes là. Avant on jonglait avec nos envies. Maintenant on jongle avec les critères sanitaires.

Nous nous savons résilients. Nous avons besoin-envie de jouer. Pour croûter, certes, mais, aussi, pour notre santé mentale. Il n’y a rien de pire que d’être empêché. Empêché d’exercer son métier.

Et puis les gens, le public, les flâneurs, les causeurs, eux, ils ont besoin de ré-enchanter leurs rues, leurs villages, leurs regards.

Nous venons tous de passer 2 mois gentiment enfermés, emprisonnés docilement dans nos murs domestiques.

Nous avons, aujourd'hui, une nécessité essentielle, celle de nous retrouver, malgré tout, dans les chaleurs de juillet et d’août.

Les voix des artistes jaillissent de partout. Sur les réseaux, chacun y va de son rêve, de son ambition, de son commentaire.

« Il faudrait proposer aux organisateurs et aux producteurs de repenser les programmations. »

Après le temps des cerises, voici venu le temps de voir fleurir, les entre sorts, les petites formes, les solos, les déambulations, les spectacles en lien avec le numérique, les promenades contées, les impromptus vivaces. Ces productions artistiques qui se sont construites et rêvées pour 10 ou 20 spectateurs.

Comme le problème c’est le nombre, banco, le voilà résolu. Les jauges de personnes affluant, vers les lieux de représentation, peuvent être ainsi réduites.

Et puis, nous avons, également, penser à ces petits villages, à ces déserts culturels, à ces publics enfermés. Les prisonniers, les vieux dans les établissements de soin, les malades à l’hôpital.

On s’est surtout dit que la peur ne servait à rien. Qu’elle allait décidément nous scléroser. Qu’il fallait lui faire la nique.

Pourquoi ne pas inventer une nouvelle façon d’installer le public. Et comme dans un jeu, sans que les gens en prennent conscience, ils se tiennent un peu éloigné.

Cette putain de distance physique.

Il faudrait jouer dans les cours de ferme, dans les granges ouvertes, sur les parquets des petits bals.

Il faut réinventer, qu’on nous a dit. Nous sommes prêts.

La culture est à tout le monde, au delà des clivages politiques et des inégalités sociales ou de territoire. La culture a le pouvoir de rassembler. Nous pouvons le faire différemment, hors des sentiers connus, pendant cette fameuse traversée du COVID 19. Nous sommes riches de partages et d’idées. Alors, chiche ?



Chronique de confinement 22 :

Les petites filles se rebellent


Aujourd’hui, le mois de mai nous ramène ce soleil chaud des milieux de printemps.

Les enfants babillent dans les jardins, derrière les haies des voisins.

On les entend, certes, mais on ne peut pas les voir.

Ce sont des enfants de l’an 2020, qui se chahutent, qui se tanguent dans les propriétés impeccablement tondues, qui se balancent, en Tarzan, au bout des cordes à nœuds, qui se jettent dans les bacs à sable, qui tapent aux râteaux les têtes de leurs petites sœurs.

Ce sont des enfants qui courent en rond. On perçoit, presque, le bruit de leur cœur qui bat la chamade.

Certains, bien sûr, sont seuls, dans leur territoire d’herbe. La vie les a fait unique, ou, alors, encore solo.

Ils jouent à ramasser quelques pierres, construire des petits cairns, lancer des défis de land art.

La chaleur chauffe leur maigre tee-shirt de mai.

Leurs cheveux se collent sur leur front, par un peu de sueur.

Leurs regards immensément concentrés sur leur jeu passager, leur confèrent le plus grand sérieux et la plus grande vigilance.

Ma fille joue, solitaire, avec les pierres du chemin qui mène à la porte de notre petite maison. Elle fait ses monticules, invente ses châteaux, ses rois, ses chevaliers, ses combattants, ses amoureux.

Elle repense, soudain, avec une passion intense, à ces 2 petits garçons qu’elle a laissés dans la cour d’école avant le COVID. Ces 2 petits garçons dont elle est amoureuse.

Elle se plaît à me dire :

« Moi j’ai deux amoureux. Toi, tu n’en as aucun. Tu ne sais pas y faire avec les amoureux. »

Je ris quand je l’entends dire ça.

Si elle savait les méandres que l’affection peut prendre.

Si elle savait comme l’amour se multiplie, se développe, se fait étrange, se fait prodige, se fait nourriture, se fait désirable.

Si elle connaissait les grandes aventures en eaux claires et tumultueuses qu’engendrent les relations entre adultes consentants.

Alors, sans doute, ne me dirait-elle pas cela. Mais, je la laisse asséner ses remarques implacables.

De toutes façons, elle ne veut pas grandir.

Elle veut rester cette petite fille insouciante qui flirte avec deux garçonnets.

Pas de prise de tête. Une simple réalité enjouée.

Peut être, ma fille, as-tu raison. Peut être, qu’effectivement, je ne sais pas m’y prendre avec les amoureux.

Mais je maîtrise le bonheur, la liberté et le goût de l’abandon.

Et puis chacun de mes jours est une découverte.

Je m’interroge : est-ce qu’il faut savoir faire ? Ne faut-il pas, juste, accueillir le présent ?

Moi j’aime le présent.

Il fait chavirer mes barques sentencieuses de préjugés et de posture.

Je peux être, parfois, une femme de posture.

Oui, petite fanfaronne, je ne sais, sans doute, pas y faire avec les amoureux.

Mais la vie m’apporte son lot d’inconnus, de rires et d’échanges.

J’ai aimé des hommes, j’en aimerai d’autres. Je ne me fais pas trop de soucis là-dessus.

Je sais choper au vol, les effluves d’odeurs, les mariages de phéromones, les éclats de rire, les questionnements tourbillonnants des passions en herbe, les débuts chaotiques, les présents arrogants et les profondes tendresses des amours anciennes.

Ma fille me parle de ses amoureux, avec une sagesse indolente. Avec un appétit de lien social.

Elle relève la tête. Elle a entendu les enfants du quartier faire rouler leurs patins sur la ligne goudronnée qui serpente entre les maisons.

Elle veut, d’un coup d’un seul, parler à ses cousines.

C’est un besoin important. Il s’impose, tout bonnement, à elle.

Elle vient me voir. Pose sa joue sur mon bras. Nous sommes dehors. Moi, travaillant la terre du petit jardin, elle ricochant trois cailloux entre ses doigts, qu’elle appelle ses trésors.

Ses cousines, elle les aime comme des sœurs. Des sœurs qu’elle n’a pas. Ce sont ses complices de jeu, quand les vacances arrivent. Ses frangines de peur, pour les cache-cache endiablés. Ses partenaires de baignoire dans l’immense salle de bain de la maison familiale. Ses concurrentes d’apnée en mer salée et finistérienne, quand vient l’été et les après midis de plage.

Je vois le souvenir de leurs jeux mouillés, de leurs baisers de cœur, éclabousser son regard de petite fille claquemurée dans la solitude, par un virus qu’elle ne comprend pas.

Ses yeux s’embuent, s’embavent, comme une mer en colère sous la force du vent :

« On va leur faire un petit film. Je vais l’envoyer par Whatsapp. Pas de soucis, ma jolie. »

C’est alors qu’elle s’empresse d’enfiler son costume de princesse moyenâgeuse. Longue robe de feutrine pourpre et turban dorée. Il faut être majestueuse pour ce message à filmer.

« J’suis belle ? »

Elle me le demande comme une prière.

« Oui, tu es très belle. Allez, je te filme. Qu’est-ce que tu veux leur dire ? »

Elle prend une large respiration. Je vois sa cage thoracique se remplir d’un air conquérant.

« Je vous aime, les cousines, je vous embrasse, je vous fais des câlins. Et Emmanuel Macron, il va nous ficher la paix. Parce que moi, je veux voir mes cousines. Je veux vous voir. Le corona virus, il est bien embêtant. Je veux vous voir. Et aussi, je veux toucher mes grands parents. »

Les cousines habitent loin. Au delà des 100 kilomètres. Elles habitent, une autre région. Un autre vent. Un autre soleil.

J’envoie la petite vidéo en riant.

La réponse ne se fait pas attendre.

Les cousines se sont filmées, elles aussi. J’imagine que c’est ma sœur qui tient le téléphone. Elle doit, comme moi, avoir le cœur gros. Mais on fait avec. On fait aller.

La plus grande de ses filles, dit :

« Tu as bien raison. Le corona c’est chiant. Je voudrais te serrer dans mes bras. »

La petite dernière envoie des bisous emplis de promesses d’un avenir à se câliner.

Ma fille touche l’écran du téléphone. Elle parle devant le petit film. Elle embrasse l’appareil. Elle caresse les visages.

C’est alors que je prends conscience que les enfants en ont marre. Peut être bien plus que nous.

Ma tendre chérie a trois cailloux dans ses mains. Ce sont ses trésors.

Je la regarde reprendre son jeu, avec son sérieux méthodique. Une mélodie au fond de la gorge. Elle chantonne.

« Emmanuel Macron, il va nous ficher la paix. »



Chronique de déconfinement 21 :

Xavier Bertrand


Je suis assise sur mon fauteuil de bureau, face à mon ordinateur. Sur l'écran, une dizaine de petites têtes s’affichent comme des images panini. Sauf que là, elles bougent, elles vivent, elles sourient, elles discutent.

Réunion visio avec quelques membres de la fédération des arts de la rue de Bretagne.

Je fais partie de cette fédération.

Un groupement de personnes et de structures représentant la réalité, la vitalité, la sagacité et la vivacité du secteur culturel hors les murs.

Le printemps, l’été et l'automne venus, nous sortons, telles des cigales et faisons de l’espace public, notre terrain de jeu, nos théâtres à ciel ouvert, nos niches luxuriantes.

Afin d'aller à la rencontre du spectateur.

Enfin, des spectateurs.

Depuis longtemps, maintenant, ce genre de rendez-vous, drainent beaucoup d'aficionados. Les gens affectionnent l'art de rue. Liberté des espaces. Folies des formes. Drôleries et perspicacités des idées. Emotion brute et brutale.

Quand le soleil chauffe la France et que les orages font florès, poussent hors de terre, tel des fleurs de bacchanales, les festivals de rue.

Petits, moyens ou grands.

Partout comme une long tissu de vie et d’exubérance, les gens se rassemblent pour venir voir, applaudir, réagir, crier, pleurer et rire avec les comédiens de Rue.

Avec les cracheurs, les jongleurs, les déambulateurs, les crieurs, les comédiens, les acrobates, les clowns, les messieurs loyal, les mimes maudits, les conteurs, les bouffons.

Seulement, cette année, le corona s’est invité dans nos rencards. Petit virus malin et légèrement malpoli, nous narguant au seuil de notre précarité. Un fripon haute catégorie. Un salopard de première ligne. Une lame de couteau tailladant nos vies de vagabonds.

Je l’imagine ce p’tit vicelard de COVID, nous toisant de son regard borgne et nous déclamant de sa voix suraiguë:

« Coucou, les comiques ! Alors vous pensiez chanter tout l'été?

Pas de bol, j’suis là !

Et le gouvernement, il est bien emmerdé avec l’addition: moi+vous.

Ah ouais, ils vont mettre du temps, vos têtes pensantes, vos maîtres de République, pour savoir comment nous allons pouvoir cohabiter vous et moi…

Pourtant, je ne suis pas salissant. Je nettoie toujours la cuvette des chiottes après mes petits pipis d’angoisse. Je ne pique jamais rien dans le frigo. Je ne laisse pas de miettes sur le canapé.

Mais, oui,par contre, je suis terriblement contagieux pour qui veut se rapprocher afin de vous regarder….

Vous, les plus beaux baveux de France ! Les postillonneux de la culture ! Les grimpeurs de rêves !

Hé, vous croyiez avoir un beau métier? Vous vous targuiez de votre pseudo liberté ? De vos pas de côté, de vos grands choix de partage, de votre formidable imagination, de votre feu sacré ?

Et bien voici des mouchoirs pour pleurer !

Bande de feignants d’intermittents ! Bande de roublards du temps de travail! Bande de dégénérés du bocal!

Je vais vous avoir.

Si, si.

Je vais vous manger tranquillement et gentiment à la petite cuillère...

Bah oui, la culture semble bien inutile quand il faut relancer l’économie automobile.

Où avez-vous la tête? C’est évident qu’à la sortie du confinement, le français va vouloir acheter une voiture.

Il pourra la faire tourner, comme un manège de métal, autour d’un rond point fraîchement aménagé.

Mais, voir des petits rigolos se courir après et jongler avec de la poésie, très peu pour lui, vous pensez bien.

Et puis, vous savez, dans une voiture, je ne fais pas peur. La cage de faraday protège les hypocondriaques et les malades du genre humain.

Par contre, là dehors, en pleine rue, en pleine chaleur, en pleine sueur, en pleine bière partagée au goulot, en pleine galoche hystérique, je suis tapi et bien tapi.

Alors, je vous mets au tapis, vous, les artisans de l’imaginaire.

Gagné! »

Donc, pendant que ce virus se moque, pendant que les décisions gouvernementales s’achoppent, pendant que les organisateurs d’événements culturels retoquent, pendant que les artistes, techniciens et artisans, encaissent cette onde de choc, nous nous réunissons par voie numérique, pour continuer d’être une force de proposition, une armée douce en place, un éventail de possibles.

Nous nous devons de protéger nos statuts, nos métiers, nos façons de penser, notre amour de partager.

Comme tout le monde, nous nous sommes adaptés à ces échanges virtuels.

Se voir quand même, malgré la roideur de l’image. Se ressentir quand même, malgré la barrière des plasmas.

A l’heure qu'il est, nos décors et accessoires porteurs d’histoires, attendent d’être chargés dans nos camions, nos coffres de voitures, nos paniers de vélos. Dans les valises, les costumes s’impatientent. Dans les trousses, les maquillages s'interrogent.

Et nous, nous palabrons, nous discutons, nous confrontons, nous essayons. Oui, nous essayons. Car qui ne tente rien, n’a rien.

Un tel dit

« Nous pourrions recenser des spectacles corona compatibles. Des spectacles à petites jauges, des déambulations, des solos de balcons, des jeux de pistes par textos. Nous devons dire, écrire, par voie de presse, par lettre ouverte, que des choses sont encore possibles. »

Un autre

« Tout ne peut pas être annulé. Il y a des organisateurs qui cherchent à savoir comment faire. Ils sont aussi paumés que nous. Ils attendent les annonces, les critères, les décisions sanitaires. Qu’est ce qui sera possible après le 2 juin ? »

Le 2 juin. Le jour, où tout le monde sera plus au moins forcé de retourner au boulot.

« Ou après le 24 juillet ?»

Fin de l’état d'urgence sanitaire.

« Ou après, tout simplement…. »

Oui, il va falloir que l’on reste bien droit, bien debout et bien entendable, bien visible. Il va falloir avoir une longueur d’avance. Nous sommes des créatifs. Nous pouvons nous jouer des contraintes.

« Oui, mais ça demande du temps. De l'énergie. Et de la cohésion. »

Ben oui... Ca va nous obliger à nous relever les manches, à sauter par-dessus nos désespoirs. A lâcher quelques unes de nos créations, de nos bébés, qui ne seront pas homologués pour la grande traversée du COVID.

« Il faut se rassembler autour du sens de nos métiers. Ce goût du don, du beau, de l’échange. »

Nous parlons avec nos émotions, avec nos obsessions, avec nos drames, avec nos techniques.

« Il ne faut pas laisser la brèche s’agrandir entre la relance économique et la culture. Il ne faut pas que nous soyons les perdants de cette chute historique. Nous avons besoin de jouer, mais les gens ont aussi besoin de nous. »

C’est à peu près ce qu’a dit Xavier Bertrand à la radio, ce jour.

Vous savez, ce gars à la dégaine de vendeur de bagnole. Cet homme politique qui a fait ses armes à droite, qui a tabassé le statut d’intermittent, quelques années plus tôt, qui s’est retrouvé à la tête de la région des Hauts de France.

Et qui, aujourd'hui, prône une année blanche pour les intermittents. Afin de nous laisser le temps de voir refleurir les événements culturels, sans nous enfoncer dans la paupérisation. Celui qui veut inventer 100 mini festivals, pendant 100 jours, suivant 100 kilomètres. Celui qui demande haut et fort à Macron de ne pas nous oublier, de mettre des billets sur la table, pour ne pas que notre secteur s’écroule lamentablement. Car, sans son exception culturelle, la France ne serait plus jamais la France

« Ah bon, il est de gauche, Xavier Bertrand? »

Hé bé, on aura tout vu, ma pôv’ dame...



Chronique de déconfinement 20 :

Le grand ménage


En ce début de mai griseux, j’ai fait comme tout le monde, en temps de confinement : mon grand ménage.

Ma petite maison est certes peu habitée en ce moment, mais, du coup, je l’ai laissée un peu vivre sa vie sans moi.

Et ce matin ça m'a crevé les yeux.

C’était le bordel.

Un bordel sournois qui s’impose sans qu'on s’en rende vraiment compte. Des vêtements par ci, des boîtes de DVD par là, des jouets qui s’amoncèlent, des BD qui jonchent le sol des piaules, des tasses qui végètent dans l’évier, des traces de dentifrice le long d’un miroir de salle de bain, une ou deux lessives de retard, des dossiers de boulot qui traînent sur un bout de comptoir qui ressemble plus à un bureau qu’à une surface de cuisine.

Rien de bien méchant. Cependant, mis bout à bout, ça devient, tout bêtement, insupportable.

Il me fallait du propre, du net, de l’horizon, de l’ordre, afin de respirer de nouveau normalement.

Alors je me suis levée de mon lit, de mon île et je me suis mise en action.

A cet instant précis, plus autre chose n’a eu d’importance. Seuls mes gestes qui rangent, qui cleanent, qui trient, qui jettent, qui épongent, qui nettoient, qui projettent, me mouvaient dans cette journée lourde et grise. Et cette sensation si satisfaisante du « faire » et du résultat immédiat.

La maison se fait soudain, plus belle. Les murs semblent me chanter des louanges de remerciements, les étagères m’applaudissent, le sol se confond en courbettes. Tous les petits objets en désordre m’encouragent :

« Voilà, c’est là notre place originel. Continue. »

J’ai éprouvé une sorte de fierté basique, un apaisement de l’esprit, dans le simple fait de ranger, de laver. Ma tête s’est tue car elle aussi se rangeait et triait.

De manière égale à la maison.

Sans que cela ne me demande un effort réflexif.

Ca s’est réalisé à mes dépens, agréablement.

Alors, oui, les heures se sont égrainées.

Et j’en ai oublié les papiers à remplir, les réponses impératives à donner à la société qui se prépare dehors, derrière mes murs sentant peu à peu la fraîcheur printanière, à ce fameux déconfinement progressif.

En milieu d’après midi j'avais 15 coups de fils en retard et des gens qui me sommaient de donner des réponses urgemment.

Dont celle sur la future et probable scolarisation de ma fille dès le 12 mai.

Je sais, je sais, il fallait remplir un foutu papier.

Pardon, j'ai oublié.

Et puis, merde, de toutes façons, après avoir été mis, de force, en dormance, voilà qu’on nous demande de nous activer à vitesse grand V et de prendre des décisions irrévocables.

J’ai l’impression que cette société malade et tordue veut me mettre au pied du mur, sans prendre conscience de ses torts et de sa gestion calamiteuse.

Une sensation que l’on me force à faire les choses s'immisce brutalement en moi. Je déteste ça.

Et puis, ça y est, on nous demande de nous préparer à ce déconfinement, alors que même les institutions n’y sont pas prêtes.

C’est un gros bordel.

Ce sont toutes les têtes de cette France, en projet de relance économique, qui paraissent être jonchées d’un énorme bazar organisationnel. Un peu comme ma maison ce matin.

Tout le monde surnage.

Chacun s’arrache les cheveux à gérer les prérogatives de ce monde de demain.

Pourtant, il me paraît bien certain, que les visages inquiets de tout un chacun, semblent flotter au dessus d’un bon paquet de merde.

J’ai répondu à l’instituteur de ma fille.

Oui, sûrement un peu tard.

Mais excusez moi monsieur, je faisais mon ménage et puis, vous non plus, vous ne devez pas être bien fier.

J’ai rangé mon masque que ma mère m'a confectionné, dans un lieu sûr pour ne pas le perdre, mais je peux vous avouer que je n'ai pas envie de le mettre.

J’ai calculé que, pendant 6 mois au moins, je devrais me tenir toujours un peu trop loin des gens que j’aime et cette dureté de la réalité me pique franchement l’âme.

J’ai des bleus au cœur, mais les mains propres.

La France fait son ménage de confinés, sans balai, sans aspirateur et sans « sent bon».

Un bon, gros, ménage de mélasse. Un ménage inefficace.

Moi, ce soir, je regarde ma maison et je suis contente.

Oui je suis contente.

Je n'ai pas écouté les bruits du monde, aujourd’hui.

Je n’ai pas tendu l'oreille vers dehors.

Et mon dedans est impeccable.

Ma tête a classé quelques histoires.

Mon cœur vibre tranquillement.

Je me sens vivante

Oui, malgré tout, je suis contente.

Comme quoi ça ne tient pas à grand-chose.


Chronique de confinement 19 :

Les parades amoureuses sous couvre feu


Il est 22h. Je suis au téléphone.

Les fesses collées à la terre froide du champ fraîchement labouré qui s’étend derrière la grande maison du père de ma fille.

Il m’aime bien, pour sûr.

Mais, mes conversations téléphoniques, longues comme des fleuves, que je tiens dès la nuit tombée et qui traversent les fines lames de son parquet, l’empêchant de dormir à chaque petits éclats de rire, il n’en peut plus.

Très peu pour lui.

Il veut dormir, c’est tout à son honneur.

Ma débauche d’énergie sociale qui apparaît dès le soleil couché doit être gérée sans bruit et sans fracas de voix.

Il m’a donc aimablement demandé de trouver une autre cabine téléphonique et de préférence à l’extérieur de la baraque.

Rien de mieux que ce champ immense et fraîchement labouré, sentant l’humidité et la promesse des plantes.

Le froid perce mon jean. J’aime cette sensation vivace.

Au bout du fil, comme auraient dit les anciens, il y a la voix d’Olive.

Olive est une grande amie. Une de celle, d’avant l’age adulte. Une de celle, qui a vu l’adolescente que j’étais, se transformer en grande personne.

Même si, à bien y réfléchir, je vous l’ai déjà dit, je ne suis pas encore vraiment une adulte.

Je joue à saute-mouton avec les responsabilités et la vie réelle.

Je suis comme tous les trentenaires qui flottent dans les abysses de ces années 2020. Proche de mon adolescence, mue par une rébellion intacte face aux injustices criantes.

Oui, nous sommes une génération en colère.

Mais une génération libre et riche de culture. Une génération qui ne demande qu’à sortir du schéma moutonnant que l’on nous matraque à longueur de discours. Au final nous sommes sûrement plus indépendants et plus éclairés que ce que l’on veut bien nous faire croire.

Nous sommes des luttants. Mais avec les armes joyeuses des enfants qui font le mur.

Olive est comédienne. Elle a la beauté des gazelles, la douceur âpre des groseilles à maquereau, le regard des biches, la finesse des lionnes. Elle a le talent inouï d’interpréter les textes des autres, de donner corps à des personnages de papier. Elle transcende les planches des scènes françaises voire internationales. Elle rayonne dans ses abandons. Elle n’a pas peur de marcher sur les fils schizophréniques des rôles. Et en majestueuse funambule du verbe, elle leur offre en partage, son cœur et son âme. Elle donne la vie, tous les soirs dans les théâtres, avec le don, la spontanéité et la fraîcheur des minots.

Aujourd’hui, comme moi, elle n’a plus accès à son métier. Elle crayonne des chansons qu’elle m’envoie par Whatsapp. Une élégance qui crève le creux de mes nuits confinées.

Olive est en pleine idylle numérique, entretenue avec un homme, qu’elle n’a croisé qu’une seule fois, avant le grand vide du confinement. Un homme qui lui lance des messages par voie de portable, tels de petites bouteilles à la mer, toutes pleines d’amour et d’adrénaline.

« On en est là. Tu te rends compte ? A s’envoyer des mots. Comme quand on griffonnait des messages sur des bouts de papier, en cours de philo et qu’on le faisait passer de trousse en trousse jusqu’à l’élu. »

Oh oui, je me souviens très exactement et avec délectation de ses périodes cahotantes de ma vie. Ces années naïves pendant lesquelles, j’envoyais mes pauvres messages énamourés, au mec du fond de la classe.

Mais à l’époque on était en capacité de guetter la réaction du type.

Les regards pouvaient se croiser, ou alors c’était la chiffonnade dédaigneuse de ce morceau de feuille à grands carreaux, remisé au fond d’une poche, sans même un contact visuel. On savait, alors, pertinemment, si c’était cuit ou pas.

Mais, là, bon sang, à ne pas voir les yeux. A ne pas sentir l’énergie irradiée. Le fantasme prend toute sa place tentaculaire et instaure en nous un mal être étonnant. Une danse de saint guy.

Il y a quelques jours, je lui ai conseillé :

« Mais, allez, vas-y, va le voir. Qu’est ce que tu risques ? Tu trouveras bien une stratégie pour éviter les amendes et les contrôles. »

C’est l’amourette en temps de guerre. Qui aurait cru que l’on vivrait ça ? Que l’on deviendrait des résistants du rencard, de la fleurette et du touche pipi ?

Qu’il faudrait mentir pour s’octroyer le droit de vérifier une attirance ? Qu’il faudrait une attestation bidon pour voler un baiser ? Qu’il faudrait filouter pour passer une main sur des fesses à apprivoiser ou entendre un rire éclater pour de vrai ?

Elle m’a supplié de trouver une combine. Je lui ai dit de cocher « motif familial impérieux ». Un vrai fourre-tout cette case.

Et là, elle me raconte. Elle me détaille son court voyage qui l’a conduite à la chair, à l’odeur et à la stature de son potentiel compagnon de divagation. Et, évidemment, l’inévitable contrôle de police.

« Alors ? »

Ma voix se nimbe d’une curiosité bondissante.

« Bah, j’avais fait ma dérogation, sur smart phone. Le gars se tenait à bonne distance de moi. Avec un masque et des gants. Il n’a pas voulu toucher le téléphone. Il ne m’a pas demandé de zoomer ou quoi que ce soit d’autres. Il n’a donc nullement vérifié mon identité, mon adresse, mon horaire. Il a juste regardé quelle case j’avais biffée. »

La fameuse : « motif familial impérieux »

Oui, d’accord. Mais quel est-il ? lui a demandé l’homme assermenté sous son masque de clinicien .

« Alors là, j’te prie de croire, c’est allé vite dans ma tête. J’allais quand même pas lui dire : vérification d’une attraction pour un homme qui me fait tourner la tête à longueur de textos. Je me disais bien que ça n’allait pas passer… »

Tu as raison Olive, le temps n’est pas adapté aux bécoteurs et aux gourgandines. Monsieur l’agent ne l’aurait pas bien pris. Enfin je pense. A moins qu’il ait de l’humour. Mais l’humour se perd en ce moment. Ils sont chiants ces flics à ne pas aimer la bonne, franche rigolade des inconséquents. C’est triste d’être flics en COVID. Leurs cerveaux sont corsetés par des directives, elles aussi, impérieuses. Alors qu’au fond, ils doivent, tout comme nous, aimer embrasser sur les bancs publics, leurs dompteuses de rêves, leurs tourneuses de cœur, leurs ballerines sensuelles.

Hé, il ne faut pas me prendre pour une quiche ! Tout le monde aime l’amour. Comme le chantaient, 4 garçons dans le vent : « All you need is love », isn’it ?

« Pendant l’espace d’un instant, j’ai voulu leur dire que j’allais aider ma mère à faire son ménage, car la malheureuse n’a plus de bras et que la javel lui irrite les moignons. Mais pareil, je me suis dit que je risquais de glisser dans le fossé incompris du second degré….J’ai eu l’idée d’expliquer que ma grand-mère s’était étouffée avec son sac d’aspirateur et qu’il fallait que je la libère ou que mon frère obèse avait roulé jusqu’au frigo, du coup, il était coincé entre sa gazinière et son plan de travail pendant que mon père aveugle n’arrivait pas à s’en sortir avec sa déclaration d’impôt en braille, à cause de l’écran plat de l’ordinateur….Bon, tu comprends, j’ai évité de balancer tout ça…»

Je ris mais je n’y tiens plus. Je veux savoir ce qu’elle a fini par pondre comme bobard.

« J’ai dit que j’allais chercher mon fils chez son père. C’est passé comme une lettre à la poste. Il m’a fait un signe de tête, m’a glissé un « parfait » et puis, je m’en suis allée. »

Chercher son fils chez son père, merveilleuse idée.

Seulement voilà, Olive n’a pas d’enfant.

Mais ça, le flic ne le saura jamais.

« Parfait », qu’il a dit.





Chronique de confinement 18 :

Boris Cyrulnik


Livia est une copine.

Elle m’a déjà appelée 3 fois cette semaine et je n’ai jamais pris le temps de répondre. Nos horaires ne coïncident jamais.

Elle appelle généralement quand je suis occupée à mes obligations maternelles. Les fins d'après midis affairées à la douche, à l’essuyage, à l’exposition des morceaux du pyjama dans le bon ordre sur le bord du lavabo de la salle de bain. Parfois, elle appelle le matin quand je suis perdue dans l’armoire afin de choisir les vêtements du jour. Après il faut gérer l'habillage, le coiffage, le brossage de dents. Et puis, depuis le confinement il y a aussi l’école à la maison qui apporte son lot de surprises chronophages.

Livia a même essayé de m'appeler à l’heure de l’histoire du coucher. C’est dire si elle essaie de me joindre.

Depuis le début de cette "crise sanitaire sans précédent", comme ils disent dans la presse régionale, je n’ai guère eu le loisir d'être seule. Ma fille, mon petit koala, s'est accrochée à mes jupes.

Et vous pensez bien, que tout cela fusionne.

Je vais finir par avoir la marque de ses lèvres incrustée dans les joues. Et ses bras greffés autour de mon cou.

Vise la dégaine.

Pourtant j’ai bien cette petite sonnerie d’alerte qui résonne dans ma tête:

« Fais gaffe ! La fusion c'est pas bon »

Pas bien.

D'accord, d’accord. C’est écrit dans les bouquins.

Mais bon, on fait comme on peut.

En ces temps historiques, je vous prie de croire, qu’on ne fait pas ce qu’on veut. On fonctionne, on réfléchit. On essaie d’éviter les débats anxiogènes. De peindre des tableaux colorés de ce monde plus que bizarre. De faire des loups. De se déprimer à jouer 30 fois au « papa et à la maman » dans une seule journée. D'avaler bruyamment sa salive quand on s'entend dire:

« De toutes façons, tu joues jamais avec moi »

Alors qu’on vient de s'enquiller 2 mémories, un « qui est-ce ? », 3 jeux de 7 familles, et qu’on s'est pris le chou à essayer de re-comprendre la règle du UNO…

Les enfants ne font jamais dans la dentelle.

Mais ils n’ont rien demandé. Surtout pas la vie. Alors autant essayer de la faire la plus belle possible.

Leur innocence est telle une coquille d’œuf. Si friable. Si cassable.

Nous, les parents, il ne nous reste plus qu’à bosser dans le bon sens, afin d’éviter de faire germer une génération d’hypocondriaques habitée par la peur de la mort. Eviter d’en faire des angoissés « du toucher ». Ou des « étouffés sous masques».

Tout est lié à l’enfance, m’aurait dit mon père.

Alors je laisse, à ma gamine, l’opportunité d’ouvrir cette petite porte fusionnelle. Pour qu'elle s'y réfugie, le temps d’une peur ou d’une incompréhension.

Il sera bien temps de la repousser, cette porte, ou même de la refermer, quand on y verra plus clair dans cette purée de pois.

Les enfants de Livia sont plus grands.

Je vois, par l’horaire de ses appels, le décalage que cela crée dans nos quotidiens de mère et je bénis l’autonomie qui s'acquière petit à petit. Dans quelques temps, pas mal de mes tâches parentales ne seront plus que de bons vieux souvenirs.

En même temps l’âge des enfants de Livia, l’oblige à se fader le théorème de Thalès pendant quelques matinées, revoir Pythagore et gérer une crise d'adolescence lourde de froideur et de mise à distance.

En période de confinement ne préfèré-je pas l’état de fusion d’un petit enfant en besoin de rassurance plutôt qu'un ado m’imposant les limites d'un territoire sur lequel je n'aurais plus le droit de poser les pieds?

Ca ne doit pas aider à la bonne ambiance de la collocation, je suppose…

A chaque âge, la découverte ou l’ignorance.

En montant dans mon fourgon pour un aller retour express au bureau de tabac, je me dis qu’il faut absolument que je rappelle Livia.

Ca me ferait du bien d'entendre sa voix.

Livia est une chic copine. On ne se comprend pas toujours mais notre lien est solide. Et j’aime à le cultiver.

Et c’est là que le hasard opère encore une fois.

Je la vois marcher sur le trottoir afin de rejoindre sa voiture. Je la klaxonne. Elle me voit et m'offre un magnifique sourire. Je me gare rapidement, à la sauvage, entre le bas côté et la route. La pluie de mai danse sur mon pare brise. Je vais pour descendre la rejoindre, c'est à ce moment là, qu’elle ouvre ma portière passager et se glisse sur ma banquette. On se retrouve côte à côte dans mon véhicule.

« Ah, génial ! C'est cool de se voir. Je devais te téléphoner »

On embraye directement sur une conversation à bâtons rompus. On a tant de choses à se dire, à s’exprimer avec cette impression que le temps nous est compté. L’attestation dérogatoire ne nous donne qu'une heure pour s’emplir de ces moments de liberté sororale.

J’ai un élan naturel vers elle pour lui coller une bise. Elle sourit. Esquive. Puis l'accepte. Merde, j'en avais oublié les gestes barrières!

« On est des dingues ! »

Ouais, des rebelles de la bise. On se marre.

Pourtant j'ai quand même bien sentie que ça l'avait mise mal à l'aise.

On discute de son boulot qu’elle doit bientôt reprendre. De son angoisse sur les conditions sanitaires. De la situation du COVID dans notre bout du monde.

« On est éloigné du virus »

Sa voix est haut perchée. Comme si elle nageait dans ses doutes.

« Mais ça commence à déconfiner grave. Qu’est ce que ça va donner ? La mort ne touche pas que les autres. J’ai pas envie qu’elle arrive jusqu’à moi. »

Son regard, désormais lointain, se fixe sur les gouttes de pluie s'éclatant à même les vitres du camion. Je ne pensais pas qu'elle serait si emplie de trouille, ma petite Livia.

« Je n’ai pas envie de remettre mes gamins à l’école. Pas tout de suite, en tout cas. »

Sur ce point là, on est tout à fait d’accord. On défend le droit de latence. Le fait d'avoir le choix de comprendre comment les choses se goupillent et s’organisent.

On apprendra dès le lendemain que dans notre région ça ne sera pas si simple. Le recteur pondra un sondage demandant expressément aux parents de répondre favorablement ou défavorablement à un retour définitif de leurs enfants à l'école dès le 12 mai.

Encore une fois, pour une question d'organisation et une gestion verticale de la situation, le pouvoir en place, nous infantilisera. Evidemment, comme à l’accoutumé, on nous servira une bonne dose de culpabilité, nous prônant les biens faits du retour à l’enseignement collectif et nous collant un flingue sur la tempe afin que nous décidions précipitamment du sort de la santé de nos enfants. Qu’elle soit physique ou morale, d’ailleurs.

Livia me demande ensuite :

« Comment ça se passe pour les intermittents ? »

Nous sommes les oubliés de la troisième ligne. Bien remisés dans le placard de l’inutilité économique. A mon grand désarroi.

Livia va pour sortir du camion. Elle a mis un bout de sa manche sur ses mains afin d’ouvrir la portière.

« Tu veux du gel? »

Je lui tends mon petit flacon de gel hydro alcoolique. Mon dieu, ce geste me désole, mais il se veut rassurant. Elle le prend.

« Je suis con, j’l’ai touché, ça sert plus à rien. »

Attends, je vais le faire. C’est moi, qui lui projette le liquide au creux des mains. Elle se nettoie la joue au passage.

Celle que j’ai bisée.

Je reste perplexe devant ce geste. J'en veux, alors, à ce virus qui fausse tout notre droit à la tendresse sage.

Et je me remémore une phrase de Boris Cyrulnic:

« Pour un enfant, le contact physique est plus important que la nourriture. »

Il n’y a pas de doute, je suis restée une môme.





Chronique de confinement 17 :

Le premier ministre et mon voisin


Je suis dans mon jardin. Un petit jardin accolé à ma petite maison. Le temps a vrillé. Le soleil d' Avril s'éloigne laissant place à la pluie et au vif vent de mai. Entre deux averses, je bois mon café sur ma table extérieur.

Hector, mon voisin, rentre de ses courses. Hector a une cinquantaine d’années, trois enfants, le verbe haut et quelques passions dont le foot et la pétanque. Hector est un homme sensible, mais il le cache sous sa carapace d’homme « qui gère ».

Hector aime rire.

Hector a une énergie volubile.

J’aime nos échanges de voisinage. Je sais pertinemment que ma façon de vivre l’intrigue, mais il me le fait toujours comprendre avec beaucoup d’humour. Je l’amuse et il m’amuse.

Good point.

C’est un voisin que j’aime bien. Un voisin comme il en existe plein.

Avant de pousser la porte de son garage, il s'approche de mon portail. Il y restera pendant toute la courte conversation que nous entamons.

« T'as vu le premier ministre? »

La veille, le premier ministre a tenu une allocution devant les députés. Une intervention retransmise en direct à la télévision.

Je lui avoue que non, je ne l’ai pas regardé, ce discours. Je n'ai pas pris ce temps là. Je n’en avais franchement pas envie. J’ai attendu le soir pour écouter à la radio les morceaux choisis de cette heure de vacuité nationale.

Hector lui s’était installé devant la petite lucarne magique.

« Comme il n’y a plus de foot, et qu’il faisait moche dehors, j'avais plus que ça à faire, tu comprends.... Et pour me rappeler le bon vieux temps, j’avais sorti les cacahuètes, la heineken et les pieds sur la table. »

Je l’imagine bien. Plongeant les doigts dans son petit pot d’arachides et gueulant contre sa télé comme il l’aurait fait d'une mauvaise passe du pied droit.

« Il a rien dit le mec. Mais rien. Le vide sidéral. »

Oui, oui, je m’en étais bien aperçue.

« Donc, comme tu l’as entendu, les écoles vont reprendre, mais on ne sait pas comment on va caser 10 mioches dans une classe en les tenant à distance les uns des autres. On ne sait pas, non plus, s’ils vont instaurer des jours pairs et impairs comme pour les stationnements.

T’imagines, le matin, il va falloir que tu guettes le calendrier en te demandant quelle est la lettre du jour.

Ah : K, c’est bon, bingo, j’ai le droit de sortir mon gamin !

Et tu crois qu’il va falloir un ticket d’entrée et un ordre de passage pour le déposer auprès de l’instit' ?

Et puis attends, ils ouvrent les écoles, mais pas les garderies ! Donc ils vont rentrer tous seuls les mômes ? Ils vont prendre leurs trottinettes pour faire 5 kilomètres le long des routes départementales. Et bien sûr, arrivés à la maison ils vont mettre le couvert et préparer le repas du soir, c’est évident ! »

Il continue, s’emportant un peu plus. Ses mains tournent autour de son visage.

« Deuxième truc : les masques vont être fortement recommandés mais on ne sait pas comment on va s'en procurer. Ce que l’on sait, par contre, c’est qu’ils ne vont pas être gratuits. Bah non, on va nous les vendre ! Ben, tu comprends, il faut sauver l'économie ! Faire jouer la concurrence ! « Dumper » le cours du masque en coton !

C’est pourquoi il y aura plusieurs gammes…Pour toutes les bourses ! »

On rigole ensemble en projetant les réflexions futures :

« Je me paie lequel ? Celui qui laisse passer, un peu, beaucoup, passionnément le virus? Je fais un petit crédit pour protéger ma famille ? T’es pauvre, t’as un pauvre masque ! Bah quoi, t’avais qu’à pas être pauvre, non plus ! »

Il commence à rire franchement.

« On pourra se faire des apéros, seulement à 10 et en respectant les distances de sécurité. Faudra quand même me dire comment on fait pour boire un pastaga en tenue de chirurgien de bloc opératoire ?

Comment tu souffles tes bougies d’anniversaire à un mètre cinquante du gâteau ?

Comment t’embrasses ta belle mère, qui après avoir gueuler toute son existence contre la burka, va finir sa vie, voilée pour éviter les postillons du neveu qui bave à cause de son appareil dentaire.

Et surtout comment on va aller au camping d’Arcachon, si on ne peut pas faire plus de cent bornes en bagnole ? »

Le ton se fait plus grave, car pour lui, Arcachon, c’est son paradis.

Il y va tous les étés avec sa petite famille.

Des vacances, certes franchouillardes, mais auxquelles, il pense toute l'année. C’est sa soupape de vitalité. Quand il est un peu morose, ça lui rebooste le moral. Il fantasme son bout de terrain baigné de soleil, son mobil home sous les grands pins, ses voisins de parcelle qui viennent boire la bière du soir, à la même petite table en plastique.

Et puis il se les paie, ses vacances, d’une année sur l'autre. Là, il va l’avoir dans l'os. Non seulement il va être privé de son petit îlot de béatitude, mais il va perdre de l’argent. Et l'argent ça se compte, chez Hector.

« Et la connerie de l’ouverture des salons de coiffure, t’as entendu ? »

C’est une question en l’air, il n’attend pas ma réponse. Il a besoin de parler. Il bondirait presque comme un petit marsupilami.

« Explique moi, comment tu vas te faire couper les cheveux, si les coiffeurs n’ont pas le droit de te toucher ? Il va falloir qu'ils aient le bras long, les mecs ? Ou peut être, ça sera des coupes de cheveux à l’élagueur? Je dis ça, j’dis rien, je m’avance, sans doute… »

Il explose de rire en imaginant les conversations des couples avant un rendez-vous capillaire :

« Excuse moi chéri, je vais me faire tronçonner les cheveux, j'reviens? Oui, oui j'ai pris une assurance, t'inquiètes pas. »

Vaut mieux en rire. Oui, Hector, je te rejoins. Nous attendions des annonces, mais c’est encore un bel amas de bordel qui s’est abattu sur nos oreilles.

Il n’y a pas de plan. Personne ne sait comment faire. Et c’est la pénurie qui incite la stratégie. Nous ne sommes pas sortis de l’auberge.



Chronique de confinement 16 :

L’ accent du Sud


Je suis à la fenêtre de ma petite maison. Je me suis roulé une cigarette. La fumée envahit mes narines. Je souffle par la bouche. J’aime ce petit mouvement récurent. J’aime les bouffées de tabac.

Je tète ma clope avec le même plaisir qu’un bébé se nichant dans les seins de sa mère.

Il est l’heure où il semble normal de s’ouvrir une bière. Comme un rituel.

C’est là que mon téléphone vibre.

Je regarde le nom s’afficher sur l'écran: "François"

Ah, François…Depuis combien de temps n’ai-je pas entendu sa voix? Deux petites années peut-être ? Cependant, avant même de décrocher, elle résonne déjà dans ma tête.

C’est fou comme on n’oublie jamais les voix. On croit qu'on les occulte. Mais dès que le nom des personnes s'affiche sur les écrans de portables, d’innombrables détails nous reviennent, une manière de pencher la tête sur le côté pour marquer un étonnement, une démarche, une trace de sourire et surtout une voix.

Elle nous est singulière, cette voix.

Un sceau, un ADN, une façon de vibrer dans les oreilles des autres. D’avoir son existence tintinnabulante, bien à soi, dans la vie des gens.

C’est la marque indélébile des passants qui hantent les couloirs de nos mémoires.

Et là, pendant les quelques secondes qui s’écoulent, avant que mon doigt ne glisse sur l’écran pour répondre, j'ai déjà entrepris mon petit voyage dans le temps.

François je l’ai connu à 20 ans. Dans une ville du Sud de la France. Dans un théâtre blanc en bois, où j’ai traîné mes guêtres pendant 3 ans. Un lieu dans lequel j’ai appris quelques bases de mon métier de comédienne, metteure en scène et auteure. Un lieu qui m’a fait connaître mes maîtres, mes danseurs de mots, mes porteurs de fable. Là bas, j’y ai développé la veine foraine de l’art vivant, entourée de jeunes comme moi. Des apprenants. On parlait alors de « promo ». François était dans ma « promo». Et j’ai toujours eu pour lui une affection tendre et profonde, comme on les éprouve à 20 ans.

A 20 ans, on a l’impression que le monde s’étale devant nous, avec sa multitude de possibles. Que tout semble atteignable. Que tout semble ambitieux.

A 20 ans, nous sommes tous des rois et des reines en devenir.

Il y a quelque chose de puissamment vertigineux dans cette sensation.

Je décroche, la voix pleine de sourire, de miel et de chaleur.

« François?! »

Tout de suite son accent chantant du Sud, sa voix de soleil, son petit rire logé dans sa gorge, m’enveloppent. Et puis sa vitalité et évidemment la vitesse du débit, comme pour rattraper le temps qui nous a échappé, me stimulent et me font le plus grand bien. Je suis de nouveau pleinement dans le présent. Accordée avec lui. On rigole juste de se dire :

« Allo ! Oh, putainnn, ça fait longtemps. »

« Va et vient » entre le présent et le passé. Je me souviens, en un éclair d’espace-temps, de son humour potache, de son grand corps, de son don pour la connerie, la naïveté et l’amitié. Quelques jaillissements de souvenirs en mosaïque :

Après midi au bord d’un lac.

Discussions dans les loges.

Croisements dans les coulisses.

Bières au bar du théâtre.

Traversées de ville la nuit.

Danses.

Coups de gueule.

Et ce truc qu'il avait de venir renifler les cheveux des filles. Il enfouissait son nez dans nos chevelures. Avec un son de respiration qui nous faisait rire. Une sorte de bruit : « mouch’ mouch’ »…

« Alors, comment ça va ? »

Ca y est, nous allons commencer à nos donner des nouvelles. Des informations sur notre quotidien d’enfermés.

Lui, là bas dans le Sud. En collocation avec des copains. Des pères de famille comme lui. Je lui demande de me raconter son enfant.

On dérive sur l’école à la maison. 2 heures par jour.

« Bah t’imagines bien que je me remets à niveau.... J'avais oublié des trucs, j'avoue. Ce matin c'était COI, COD, complètement d'objet et de nom. »

Petit suspens, je sens son ironie se détendre de l’autre côté du téléphone

« Non, mais attends, on va tous crever, bientôt il n’y aura plus de pétrole et là il faut que j'explique à mon gamin ce que c’est un COD? Franchement ! On n'en plus rien à péter, non? »

Je me gausse.

« Tu crois que le petit COD, il va pouvoir nous aider contre le dérèglement climatique, les ressources naturelles qui s’épuisent, les guerres commerciales et les guignols qui nous foutent la tête dans le mur ? »

J’imagine le p’tit COD et son ami le COI, en combinaisons de héros, luttant au côté de l’humanité, désormais éclairée, pour sauver le monde.

Nous délivrant de la pandémie, certes, mais de tout le reste aussi. Tout ce qui déconne grave, comme dirait François.

« Tu sais, là, j’arrive plus trop à penser au théâtre. Dans combien de temps ça va reprendre? Dans quelles conditions ? Devant qui ? Et qu’est-ce qu'on aura envie de raconter ? Hé, le théâtre c’est politique, hein? Moi, j’suis perdu. J' préfère te le dire. C’est sûr qu’il faudra continuer, mais là j'arrive plus à rêver. J'arrive plus à créer. Je suis un peu sec. J’suis décontenancé. Moi, tu sais bien, hé, je sais surtout faire le con. A quoi, ça va nous avancer, hein, dis ? »

Je sais plus très bien, non plus, François. Je suis comme le monde, en suspens. J’attends.

Oh François j’ai juste envie de te prendre dans mes bras, pour un câlin « mouchmouch’ ». S’il te plaît, remets ton nez dans mes cheveux comme avant.

Avant, on n’y aurait jamais cru à tout ça.

Pourtant une phrase me revient souvent, c’est quelqu'un qui me l'a dite et elle a traversé mon orage covidien pour m'atteindre totalement: « Il faut rester dans le "faire"… »

François reprend

« Ah mais ça, je fais. J’ai mes projets, mes projets à moi. Mes projets de vie. Une ferme, des hectares, un puits, l’ambition de l'autogestion. On va acheter avec Vincent. C'est pour cet automne. »

Vincent…

Ce nom aussi fait vibrer mes souvenirs.

Ca fait 10 ans que je ne l'ai pas vu.

« Ouais. On a envie de s’le payer, ce truc. De voir les choses à notre échelle. De vivre entre amis et de faire nos conneries ensemble. Ca, ça me rend optimiste. »

Et bien, oui, François. Au final, nous sommes comme avant, des jouisseurs, des vivants, des rêveurs, des sensibles. Des artisans. Des grands joyeux. Des créatifs. Des enfants. Libres, angoissés, mais attirés par le bonheur.

« Et dis, tu viendras, hein ? On boira des coups. On mettra un plancher en bois. La musique à fond. On fera des conneries. On dira des bêtises. On sera en vie, non ? »

Oh, oui pardi !




Chronique de confinement 15 :

La provocation


Vous ai-je dit que je suis une femme à lunettes ?

Si non, vous voilà avertis.

Femme à lunettes.

Cela veut dire que j’ai deux façons de voir le monde.

Quand je n’ai aucun appendice réparateur, disons, que je le vois bien flou, ce monde. Des tâches de couleurs qui se juxtaposent les unes contre les autres sans aucun contour défini. Un brouillard tendre qui gomme toutes les aspérités.

Une peinture impressionniste à la Turner.

Ma vision de myope est un geste artistique.

Quand j’ôte mes binocles, le monde me paraît plus doux, plus cotonneux, plus calme. Mes yeux se détendent et mon léger strabisme coquet reprend toute sa classe.

Mais je suis à la merci du moindre danger puisque mon manque d’acuité affaiblit mes capacités à me rendre compte de ce qui se trame autour de moi.

Je suis une proie pour qui veut me dévorer, puisque je ne distingue pas le prédateur. Je ne vois que des tâches.

Comme je suis femme à aimer maîtriser les choses, calculer les angles d'un monde qui s’effrite, mes lunettes sont souvent rivées sur mon nez, que j’ai d’ailleurs assez fort.

J’ai un visage étrange qui me procure la dignité des sorcières.

Une sorcière à lunettes.

Et ce matin, je me promène sur une route de campagne, mes deux paires de lunettes additionnées sur mon pif : la paire de bigleuse sous la paire de solaire.

Deux montures de lunettes pour voir précisément ce qui se passe autour de moi.

C’est ainsi parée de mon matériel visuel, qu'à un carrefour de trois petites routes cantonales, je les aperçois :

Un homme et une femme.

La femme sort quelque chose d’une enveloppe. Je distingue clairement un masque de tissu confectionné maison. Elle tend le dit-objet à l'homme :

« Essayez-le, on peut le régler à votre taille. »

Ils se vouvoient. Ils n’ont pas l’air de se connaître.

Ils font un échange de masque contre un billet de banque.

Cette femme a dû, cette semaine, sortir sa machine à coudre, ses restes de tissu de couturière amatrice et passer une annonce sur le « bon coin » ou pire… sur le « dark net » :

« Vends masque pour futur déconfinement »

Nous en sommes là. A dealer des masques au carrefour des routes cantonales.

Quand je rentre de nouveau dans la grande maison après cette balade. Je raconte cette anecdote au père de ma fille. Il en rit.

« Ah un deal de masque en coton… Oh non ! Tu sais quoi ? Moi le 11 mai, je me transforme en police "de distance de sécurité". Je me vois bien interpellant les gens en dégainant un mètre ruban: "M'sieurs, dames, 1m49, vous êtes en parfaite illégalité ! Vous êtes priés de reculer d’un centimètre et gare à la récidive. On vous a à l’œil ! " Et puis, je pense même, que je le ferai à poil, avec un masque en guise de cache sexe et un brassard « maréchaussée du coron’importe quoi ! ». Ce monde court à sa perte, autant qu’on se marre, non ? »

Le père de ma fille est un magnifique provocateur. Quand ça tombe sur ma pomme, ça me fait moyennement rire, mais quand il l’utilise pour tourner les situations en dérision, je jubile. Il a ça dans le sang. Provoquer pour que ça résonne. Pour ne jamais subir. Pour que ses émotions débordantes ruissèlent en cascade afin de tremper et de mettre en défaut les beaux diseurs, les menteurs médiatiques et les pseudos politiques. C'est un clown corrosif qui remet les choses en perspective. Avec l'intelligence sauvage des révoltés.

Il continue :

« Je me mettrai sur les places pour faire des performances artistiques : Geyser de postillons. Fontaine de bave. Bulles de salive. J’organiserai des concours de crachats bien dégueulasses. Celui qui crachera le plus loin gagnera un test du COVID ! Il paraît qu’ils se méritent ces petits tests...Et puis, aussi, ouais, je proposerai des free hugs.

Venez dans mes bras, braves gens, un peu d’amour dans ce monde de brutes ! »

Câlins gratuits. Je me bidonne. Ca serait un tel pied de nez à l'imbroglio ambiant.

Oui, gardons nos petites folies pour dire qu’on est encore en vie, qu'on peut remettre en question cette ambiance mortifère et ce grand flou dans lequel nous sommes plongés. Avec obligation et application.

Aujourd'hui, nous sommes tous aussi myopes que moi. Et c’est le gouvernement qui retient bien au chaud nos lunettes, en nous narguant:

« Et les brancos de la France d’en bas, coucou, regardez, on a vos lunettes. Tututut on vous les rendra plus tard. »

Nous sommes à la merci, car nous ne pouvons pas maîtriser notre vision du problème. Nous sommes tous dans le coton. Tous, nous nous noyons, dans une toile impressionniste à la Turner. Le moment historique que nous vivons est une kyrielle de petits points accolés, mais nous ne distinguons pas encore l’image qui s'y dessine.

Et si nous ne voulons pas que ce soit nous, au final, « les tâches » de toute cette histoire, il va falloir se les bricoler nos binocles de fortune.

En plus des masques fait maison.






Chronique de confinement 14 :

La séparation


J’ai pris un livre dans la bibliothèque de la grande maison. Je n’avais plus rien à lire, donc je suis allée pêcher un bouquin sur les étagères du père de ma fille. Un livre de Naturothérapie. Un livre écrit bien avant le COVID, le confinement, la crise sanitaire. Un livre comme il y en a plein. Un amas de pages qui surfe sur le bien vivre, la reconnexion à son « soi », à son rythme intérieur, à son développement personnel.

Un livre de bourgeois qui a le temps de s’attarder sur ses petits soucis, sur ses petits troubles, sur sa digestion, sur la couleur de ses selles et l’intensité du jet de son urine.

J’y apprends évidemment, en lisant ses préceptes, que j’ai une hygiène de vie déplorable.

Il est indiqué qu’il faut impérativement arrêter les excitants en tout genre, pour être en osmose avec son corps, son soi profond et l’intelligence de son côlon.

En gros, exit, le café, le thé, l’alcool et la cigarette.

4 piliers fondateurs de mon quotidien.

Je fais vibrer les pages en rigolant doucement.

S’il faut que j’arrête tout ça, je trouverai peut être mon « moi » spirituel et sage. Je trouverai peut être une digestion de princesse :

« Caca parfait et peu odorant. Chic ! Pipi clair et chatoyant ! On se laverait presque les dents avec… »

Mais alors, mes aïeux, la vie me paraîtrait bien fadasse et sans sel.

Je me demande où est la notion de plaisir. La mienne en particulier.

Je me demande si je suis la seule à éprouver du plaisir à l’aide de quelques produits toxiques mais terriblement attractifs.

Je m’interroge sur ma relation à l’addiction et à la sensation de tournis et d’ivresse.

Je me demande où en sera la notion de plaisir pendant la récession qui suivra le confinement. Je me demande quels moyens seront encore à notre disposition pour accéder à ces fameuses notions de plaisir ?

Et qui aura encore le temps de s’interroger sur la consistance de ses colombins ?

Ah, ah, vaste question shakespearienne…

La vie mérite d’être vécue quand on se frotte à ses cimes.

Moi, j’aime bien mes pas de côté. J’aime bien mes doutes et encore plus mes faiblesses. J’aime être façonnée par le goût du beau, de la vivacité et de la sensualité. J’aime faire des bêtises. Manger du chocolat et fumer des Craven A.

C’est en réfléchissant à tout ça, que je me dis qu’il serait temps que j’appelle Antoine.

Antoine est un de mes anciens amants. Il a navigué dans ma vie, l’espace de quelques mois et m’a apporté beaucoup de plaisir. Et quelques colères, je dois bien l’avouer.

Antoine n’est absolument pas un homme fait pour moi.

Et c’est pour cela que je l’ai laissé rentrer dans ma vie.

Et oui.

Pour ce voyage en terre inconnue dans lequel j’ai navigué. Il m’a fait voguer vers des ailleurs sociétaux depuis ma chambre à coucher.

Nous partageons des valeurs communes, mais notre quotidien et notre façon de nous mouvoir dans l’existence sont aux antipodes et c’est pourquoi j’ai toujours eu pour lui une tendresse folle. C’est un étranger. C’est un intriguant. Et on s’est plu. Peut être pour ça. Pour ce danger de ne pas appartenir à la même caste.

Il est grand, large, plus vieux que moi et surtout, oui, surtout, il est marié !

Et ça, ça me plaisait beaucoup. Je n’étais, ainsi, pas obligé de m’interroger sur un quelconque engagement.

J’ai compris par la suite, que l’engagement était une pierre à polir chez moi.

Me faire emmerder par des contingences et des concessions, devient aussi pénible pour ma liberté qu’un vieux chewing gum collé entre les doigts.

Ca colle, ça pue et c’est dur à enlever. Il reste toujours des bouloches à gratter.

Bref, je prends mon téléphone et je l’appelle. Il a une bonne voix et le ton tranquille. Il est sûrement content de m’entendre, mais il ne le dit pas.

Après les questions rhétoriques d’un début de conversation banal, il m’annonce :

« Ca y est, on se sépare avec Anne. »

Je crois que ma salive a dû descendre, remonter et redescendre dans mon gosier en un éclair de stupéfaction.

« Quoi ? »

Bon, je savais bien que leur binôme battait de l’aile, sinon il ne se serait pas retrouver dans mon lit l’espace de deux saisons. Oui, je savais qu’ils dansaient depuis un bon bout de temps sur leur point de rupture, mais quand même, là, je reste coite….

« Vous vous séparez maintenant ? …Vous aviez tout loisir de le faire depuis des années et vous vous séparez maintenant ?…En plein confinement… Au moment, où personne ne peut sortir de chez soi ? Au moment où personne n’a de vie sociale ? Au moment où il n’y a plus de travail, plus d’exutoire, plus d’épaules de copines pour pleurer, plus de PQ pour se moucher ? »

Il acquiesce en proférant des borborygmes satisfaits.

« Vous êtes de grands malades ! »

Antoine range bien tes couteaux de cuisine et tes réserves de doliprane….Je t’aime bien quand même, tu sais.

Il n’y avait bien que lui pour pondre une aberration pareille : se séparer pendant un confinement.

Je raccroche en soupirant amicalement et retourne à mon bouquin. Sous mes yeux s’étale l’échelle de Bristol. Un bougre qui a étudié les cacas et les a classés en 7 catégories.

N’en jetez plus, c’en est trop.

Je vais me servir un ti punch en allumant une clope.

Chronique de confinement 13 :

La colloc’

Je suis sur mon vélo.

Volant entre ma maison et celle du père de ma fille.

J'aime être sur ce vélo. J’y passe beaucoup de temps.

C’est mon camarade placide qui m’aide à mettre mes pensées en place. Je souris grâce au vent qui me brasse et m’enivre. Je me complais de ce mouvement simple de mes cuisses pédalantes, amenant l’oxygène à mon cerveau.

Un petit vélo qui permet à ma tête de réfléchir.

Ouais, j'ai un petit vélo dans la tête.

Par temps de confinement, il suffit d’un vélo pour avoir un copain de liberté.

Comme j’ai aimé les triple galops des chevaux qui m’embarquaient, adolescente, j’aime les pentes cyclables et les creux de mon pays breton.

Ici rien n’est plat.

On descend pour remonter.

Un peu comme mon moral, à vrai dire !

Ici, on se joue de l’air frappant en pleine descente et on en chie en montée.

Quel bonheur.

Cet après midi là, la sueur ruissèle sur mon dos. Mon short court se braque sous la giclée brisante.

Je passe le premier bourg.

C'est là, que je la vois.

Elle sort de la pharmacie et monte, elle aussi, sur un vélo. Dans les starting blocs pour démarrer la côte que je m’apprête, également, à emprunter.

Une illustre et jeune inconnue, qui comme moi, a préféré le vélo à la voiture pour l’achat de quelques denrées nécessaires.

Il n’a fallu qu’un coup d'œil rapide pour me rendre curieuse d'elle.

Nous voilà, en danseuses, arc-boutées sur nos engins, prenant la même voie.

Aériennes, nous nous suivons.

Je ne la regarde pas. Mais sa présence est devenue dense et concrète à cause du bruit des vitesses qu’elle passe et repasse. Je l'entends même respirer. Nous sommes deux femmes sur des bicyclettes dans le silence des voitures qui se font rares. Confinées, pareillement.

C’est dans la dernière montée, avant ma maison d’arrivée, qu'elle décide de me doubler. Je l'observe en souriant. Boucle d’oreille taurine fichée entre ses deux naseaux qui enflent sous l’effet de sa respiration. Les joues rougies par l’effort que nous devons produire pour que les machines nous mènent au sommet de cette route bitumée. Les cheveux rasés sur la nuque. Des tatouages définitifs courent le long de ses bras, qui ne seront, de la sorte, plus jamais nus.

Elle porte un short court, des sandales et un petit débardeur qui s’agite.

On échange quelques mots sur le travail de nos corps.

« Nous serons contentes quand nous serons arrivées en haut! »

Ca c’est clair. Je la trouve belle, car remplie de vitalité. Et nos sourires s’accrochent en partage.

Je m’élance pour tourner sur le petit chemin qui serpente jusqu’à ma destination. Je vais quitter cette rue de vie qui m’a offert une partenaire de sourire pour quelques courtes minutes.

« A bientôt! »

« Ah tu t’arrêtes là ? »

Sa voix est soudain rapide. Elle court, cascadante et rapace, après ces quelques secondes qui nous éloignent de la juste séparation. Nos chemins ne nous mènent pas au même endroit.

Fin du chapitre.

Mais je suis attentive à cette envie de petite fille qui veut retenir le plaisir de la rencontre. Je freine et mets pied à terre.

Je me présente. Elle stoppe aussi. Son pied racle le sol.

« Amissa. »

Prénom rare. Je le souligne.

« Je suis posée sur un terrain, en contre bas, avec quelques copains. »

Durant les promenades salutaires que je fais avec mon enfant, j'avais déjà remarqué ce terrain. Une maison entourée, depuis le confinement, de quatre à cinq caravanes et de quelques camions aménagés. Un large portique de circassien a même été monté près d’une des petites habitations roulantes.

C’est un terrain qui m’apaise rien qu’à sa vue, me rappelant le fourmillement de mon métier. Ces ambiances de festivals, durant lesquels nous collons, tous, nos camions les uns contre les autres. Exerçant nos métiers de spectacles, souvent sous des chaleurs caniculaires et buvant des bières jusqu’à pas d’heures, au cul des véhicules, discutant des shows que nous avons pu voir entre deux montages et démontages de nos propres productions. Le bruissement de l’art vivant, porté par des gens qui aiment profondément la vie, la nuit, les feux de Bengale et les histoires d’endormis.

Une vie dont je vais être amputée cet été. Car paraît-il, il faut combattre un ennemi invisible et une politique étonnante.

Pas de festival, pas de spectacles, pas de culture, mais un métro bondé aux heures de pointe et des entrepôts gavés d’employés sous payés. Où est le problème ?

Comment allons nous remonter cette pente ? Ce trou béant qui s'étend largement sous nos sandalettes de saltimbanques ? Un vide qui semble être bien gourmand et se repaît de nos pertes de sens…

Nos vélos de créativité vont devoir se démener comme des tarés.

Et là, elle m’invite.

« Descends au terrain. On a des bières dans la glacière. »

Je ne me fais pas prier. Je brise le confinement avec une innocence ordinaire.

Ils sont 15 sur le terrain, de jeunes circassiens sortis des écoles de Toulouse, de Paris et de Rennes. Ils se sont retrouvés sur le terrain de ce pote, au bout de la terre bretonne, pour vivre un confinement moins anxiogène.

Il y a les rires qui me caressent. Les couettes qui sortent des lucarnes des caravanes pour aérer les litières de fortune. Un gars lit dans un hamac. Deux filles s'étirent sous le portique des trapézistes. Un mec répare un cadre de métal qui doit servir pour une autre structure de voltige.

Les innombrables bouteilles de bières vides sont rangées méthodiquement, sur la terrasse en bois, formant une sculpture éphémère.

Je m’assois sur une balancelle en rotin. Amissa me décapsule une leffe. Je sens que je vais être bien.

Un hasard vaut mieux que mille rendez-vous, m’aurait soufflé quelqu'un.



Chronique de confinement 12 :

Festival des bisous

Il fait chaud. Encore une fois je sors du supermarché. Les gens sont de plus en plus masqués, gantés. Je fais vite, dans les rayons. Ce monde ne me plaît pas beaucoup, je dois bien l’avouer.

Sur le parking je vois sa silhouette. Elle remplit son coffre. Mon amie. Celle du bac à poubelle.

Ah ! Nous le vivons enfin, ce vrai hasard. Là, nous ne sommes pas donné rendez-vous.

Elle est là, je suis là.

On cale les bières, fraîchement achetées, chacune dans nos bagnoles.

On en rigole. Le bitume nous renvoie la chaleur. On est heureuse de se voir.

Et puis, comme sorti de nulle part, arrivant dernière nous, avec un sourire angélique, Jacques nous rejoint.

« Toi aussi, tu es là ? »

On se marre comme si nous étions des autruches au péage, juste avant de sauter les barrières sans payer. Sûr de notre bon droit. Bah, après tout, les autruches n’ont pas de porte monnaie, ni de compte en banque.

C’est là, que nous voyons Aurore, au loin. Lumineuse et solaire. Avec une longue jupe d’été et les cheveux jusqu’à la taille qui se balancent dans le vent frais.

« Hé, hello ! »

On est donc 4 copains. Installés à 1 mètre de distance, autour d’une voiture, sur un parking de supermarché de zone rurale.

De bons petits ploucs à surveiller avec des drones, n’est ce pas ?

Parce que là, mes amis, on n’y va pas de main morte sur le pouvoir, la gestion de crise, l’aberration d’un confinement, puis d’un déconfinement.

Le vide des discours.

L’incompréhension de notre restriction de liberté.

Et la belle conscience de ce monde qui part en cacahouète.

Jacques est mince, tanné par le soleil. Des larges rides lui redessinent le sourire.

« Alors qu’a dit notre Dieu, aujourd’hui ? »

Il parle du président de la République. Aurore s’insurge :

« Ah non ce n’est pas mon Dieu. »

Aurore, tranquille, c’est de l’humour. Dans notre quatuor, tu dois bien sentir que ce petit gars d’Amiens nord, n’est le Dieu de personne. Dans notre quatuor, tu as dû bien sentir, déjà, que –axiome de base - personne ne croyait en Dieu.

Mais, bordel, c’est vrai ! Comment ce petit homme tutoré par les banques et les grandes écoles fait pour prendre de telles décisions ?

Comme un gourou d’une secte du cap d’Agde…

« S’asseoit-il sur un tapis, les mains en croix sur le torse et parle-t-il aux esprits, pour pondre ses arrêtés et ses décrets ? Où sont passés les parlementaires ? Où est le débat ? Où sont les contre pouvoirs ? »

Bah Jacques, tu vois, le contre pouvoir, je crois, que c’est un peu nous, là, sur un parking chauffé par le soleil trop fort du printemps. Oui, nous. A discuter comme ça.

Avant tout ce bazar, l’aurions-nous fait ?

Nous avons tous les 4, la pertinence de nous demander pourquoi, comment et dans quel but ?

Et là nos questionnements tournent autour de raisonnements fondamentaux qui font de nous des hommes et des femmes libres.

Soit, petitement libres, car bercés par le système capitaliste, seul système que nous ayons connu et qui nous a façonnés, dégoûtés, contrés….Mais qui est, soyons sincères, notre horizon, notre grain à moudre pour nos réflexions.

Nous nous demandons donc, là, entre les arrières de coffres et les caddies en plastique, où s’arrêtent l’instrumentalisation de la peur, le pouvoir sécuritaire, le tout police, le zèle autoritaire ?

Les annonces du gouvernement et des préfectures autour de l’annulation des festivals et des concerts, sont tombées, la veille.

Il n’y aura pas d’événements culturels cet été.

« Sale temps pour les artistes »

Et oui Aurore. Nous ne sommes qu’à l’aube de toutes les annulations qui vont découler suite aux annonces à venir.

Nous, moi et ceux de ma corporation, ne pouvons plus exercer notre métier.

Sommes nous, nous les artisans de l’art, inutiles ou dangereux ?

Je ne sais plus.

Aurore veut tendre sa main vers mon épaule, mais elle stoppe son geste.

Tu vois, Aurore, même nous, on s’est mis dans la peur.

Je voudrais pourtant que tu mettes ta main sur mon bras.

Cela aurait peut être allégé mon esprit qui se bat dans le flou de ma situation précaire.

« Et comment on va faire la fête, nous autres ? Les spectacles, les concerts, les bières, les meutes ? »

On fera des contre temps dans les jardins, dans les cours d’immeubles, dans les ruelles, dans les arrières boutiques. On trichera avec les lois. Aurore, ton sourire est beau, crois moi. Nous serons force de vie et de réinvention.

Alors, elle dit :

« Ok, on se fait un festoche dans mon champ. Le thème ça sera les bisous. Hein, d’accord ? »

Oh oui, des bisous. Des bisous.

Jacques tape son front, ses yeux s’ouvrent grand.

« Merde j’ai acheté des glaces ! »

Il fonce vers son camion.

« A bientôt. Et vivent les bisous ! »

Fin du sitting improvisé. Nous regardons nos attestations.

« Allez c’est l’heure de rentrer. »

Nos mains se lèvent pour nous dire « au revoir » de loin. Puis nos bras sans contact se baissent, reprenant leur place le long de nos corps, comme des petites glaces qui fondent.

Chronique de confinement 11 :

Le rapport à la vie

Pierre passe devant ma fenêtre.

Pierre est un con qui s'ignore.

Il pense maîtriser les choses et les réfléchir. Mais Pierre n’a pas l'intelligence du cœur. Pierre a toujours répondu à des ordres, toute sa vie, dans son métier, dans sa famille. Il a eu peu le loisir de se confronter à lui-même. Pierre pense avoir fait du chemin par rapport à tout ça. Il se targue d'avoir entamé une psychanalyse, d’avoir ouvert les portes de ses certitudes feintes. Mais Pierre est amputé de son intelligence émotionnelle.

Donc, à mes yeux, Pierre est un con.

Mais Pierre est un con qui m'aime beaucoup et franchement, ça me désole.

Je me cache derrière le rideau. Mince, trop tard. Il m'a vu. Il m'alpague.

« Ah, salut! »

Petit ton surpris. Je joue. Je suis une diablesse.

Lui, dans la rue. Moi, à ma fenêtre. Je le domine.

Il est à vélo, suivi de ses deux fils. Un adolescent et un petit garçon. Pierre et le petit garçon sont habillés comme des pignoufs: maillots de cyclistes, siglés de la marque « repère », casques, gants, shorts tout moulants et trop collants. Ils ont l’air de deux marionnettes ridicules qui voudraient affronter le mont Ventoux, un jour de canicule. Ils transpirent comme des bovins. Certes, cette comparaison leur va bien, mais quand même, je m’interroge toujours sur ce déguisement de sportifs du dimanche. Quand le jour « dimanche » voulait encore dire quelque chose. Je me demande si faire du vélo n' est pas un prétexte pour s'habiller comme un manche...

L’ado, lui, a résisté. Il a un bermuda tranquille et un tee shirt jaune. Il s’arrête près de son père. Il joue sans s’en rendre compte avec les rayons de sa roue arrière, comme il caresserait les cordes d’une guitare en arpège. Il a la beauté fauve de ses hommes en devenir. Les épaules qui se développent, le sourire étonné et étonnant, les yeux innocents et pourtant un peu tristes. Il a la fureur de vivre en lui.

Il m'émeut.

Comme les chiots qui grandissent et se mettent à croquer les oreilles de leurs frères, à faire le beau devant les femelles, sans prendre conscience de leur pouvoir d’attraction.

Pendant toute la conversation, il ne fera qu’écouter. Avidement, mais la tête penchée, l'air de rien. Surtout ne pas montrer aux adultes que ça l’intéresse. Surtout ne pas leur montrer qu'il n'est pas encore capable d'étayer sa pensée. Il a un bouillonnement d’intuitions lui permettant de comprendre le monde et il le touille dans la marmite de son mental immature et passionnant. En le regardant, je me dis que j’ai hâte de l'entendre, quand enfin, il se sentira légitime de prendre la parole. D’élaborer une réflexion longue sur la décadence prolifique qui nous envahit dans nos quotidiens de confinés. J’aime la jeunesse. Elle me rassure car elle me bouscule.

Pierre me joue une sérénade désuète et avec un ton paternaliste me dit:

« C’est un merveilleux moment ce confinement. On a le temps d’aller faire du vélo et puis…"

Ah non, il ne va pas le dire, lui non plus…

Et si…il le lâche:

« Il fait beau »

Oui, oui, il fait beau. Oui j'ai bronzé. J’ai même réussi à me faire une allergie au soleil. J’ai des boutons sur le plexus qui me démangent quand je me couche tard le soir. On dirait que je suis atteinte de la syphilis. Ca me fait rire. Oui la nature est belle. Oui, je l'aime. Je l’aime tant. Mais non, pour moi, ce n'est pas un merveilleux moment. Nous ne sommes pas égaux face à cet isolement.

Mon ultra sensibilité se heurte au présent et à l’avenir.

Pourtant, je peux mettre mes pieds nus dans la pelouse d’Avril. Voir les cerisiers en fleurs. Boire du vin blanc sur une terrasse aux côtés d’un homme que j'ai tant aimé et qui me recueille avec la tendresse folle de l’affection et du respect. De quoi je me plains, après tout ? Je suis bien chiante, non?

Petite bourgeoise de l’amour, flottant dans cette solitude sociale mise en place par les gouvernants.

Ceux-là mêmes, qui ont si peur de mourir. Car au sénat ou dans les chambres décisionnelles, ne marchent, à pas lents, que des hommes qui plaisent au COVID 19 .

Ce virus est là pour les croquer.

Eux, vieillissants, diabétiques, hypertendus et bedonnants.

Comme dirait, Alain Damasio : quand la maladie ne frappait que les pauvres, les migrants, les middle class, les éloignés des beaux quartiers de la pseudo intelligentsia, on ne confinait pas les gens.

On les laissait crever.

Oui, le cancer, les pesticides, les champs éléctro magnétiques, la pollution, le SIDA, EBOLA, font des morts. Mais ils ne touchent pas les chapelles des hautes tours du pouvoir.

Là, le COVID 19, en bon revanchard de notre colère, est allé chatouiller leurs angoisses de mort.

Car dans nos sociétés post modernes, nous avons sanctuarisé la vie.

Nous nous sommes fait apprentis sorciers de l’immortalité.

Ne plus mourir. Ah bon ? Mais à quoi bon, justement ?

Je me demande si cette petite vieille flétrie, celle qui bave dans une chambre d’EPHAD, sans se souvenir du nom de ses enfants, sans se souvenir de la chaleur de la peau de son homme ou de sa femme (peut-être), n’aurait-elle pas été contente que le COVID 19, se niche sur son souffle au coeur et dans un mariage idéal, la fasse mourir rapidement ?

Je me demande ce que la vie représente pour moi. Moi, l’éternelle angoissée de ma propre fin. Mais pourtant me sentant invincible. Je suis un paradoxe. Nous sommes des paradoxes.

Hier, le père de ma fille a trouvé un chat mort dans la remise.

Ah, la chouette découverte.

Le truc qui te fait vachement plaisir après un repas dominical !

Il l'a mis dans un sac poubelle.

Il a vomi son vacherin nougat en nettoyant les asticots qui rongeaient le cou du félin.

Moi, en bonne partenaire, je suis allée jeter le sac dans une poubelle.

J’ai alors entendu le corps lourd, mou et vide de vie du chat tombant dans le container. J'ai eu le souffle coupé et un frisson le long de l'échine.

La vie est fragile. Nous sommes tous mortels. Ca fait peur, hein? Mais, si nous ne l'acceptons pas, nous ne pouvons pas vivre. C’est ça, la morale ?

La santé est un moyen d'accéder au bonheur. Ce n'est pas une fin en soi.

Suis-je prête à prendre des risques ?

Sur son vélo, Pierre, s’en contrefout. Mais, alors, à un point, qui frise l’hilarité.

« Oh, va falloir te mettre sous xanax, toi! »

Ca le fait rire. Je vous avais dit que c’était un con.

Il va retrouver sa femme qui a préparé un bourguignon….Par cette chaleur ?

Je ne sais plus qui est le plus con.

Non, vraiment, je ne comprendrai jamais Pierre.

Pierre est un con en costume de pignouf.

Moi, j’ai besoin de vrais clowns et d’insolence libertaire.

Je ferme la fenêtre.



Chronique de confinement 10 :

La radio repassée


Ce matin. 10h30. L’heure où je me mets en mouvement.

Oui, je suis un peu décalée de ma norme depuis ce confinement.

J’ai eu le temps de boire mon café dans mon pieu comme une reine Egyptienne. De lire deux, trois, quatre….cinq histoires, à mon petit bout de femme qui s’agite et se colle à moi. Ma fille aime à m’épuiser, on dirait.

C’est de bonne guerre minette.

Nos face à face intimes, nous laissent tout loisir de nous aimer, de nous confronter, de nous faire grandir toi et moi et de nous créer des souvenirs hors temps, hors monde.

Toi, moi, tes dessins accrochés partout dans ma chambre.

Les portraits que tu fais de ton père ou de moi.

Tes couleurs qui habitent les murs de mon antre.

Après le confinement je les retirerai, je les mettrai dans une boîte en inscrivant derrière, leurs dates. Pour le moment ce côté déco des temps modernes fait partie du charme de ce printemps 2020.

Là, tu glisses tes petits pieds sous mes cuisses pour les réchauffer, comme je le fais avec les hommes. Ce petit geste malin qui les fait tellement râler. On adore oublier que les hommes aussi ont froid.

Je dégage tes petits pieds et me lève.

Douche, radio et je ne sais pas ce qui m’a pris : j’ai sorti mon fer à repasser.

Oui, moi, l’éternelle bordélique froissée, j’ai sorti mon fer à repasser…

Ce fer ne chauffe, habituellement, que pour repasser mes costumes.

C’était l’époque des temps ordinaires.

Mes vêtements, je les laisse sagement se défroisser à même ma peau. C’est pourquoi il m’est arrivé plus d’une fois, en allant dîner chez mes parents, que mon père me fasse retirer ma jupe dans le hall pour aller la repasser dans la buanderie, tellement les plis lui faisaient mal aux yeux.

Et bien là, j’ai pris quelques fringues et je les ai étalées sur le lit pour les repasser.

Gestes lents, répétitifs. Le plaisir de voir le linge se tendre. Comme un besoin de sérénité lascive.

Oh, bah, on va peut être finir par faire quelque chose de moi !

Cloîtrée dans un intérieur, je me mets à devenir une femme modèle. Je ris diaboliquement. Déjà que je sais si bien touiller une salade. Je suis à deux doigts de la perfection.

A la radio, on entend des annonces concrètes pour le déconfinement progressif. Pour la déconfiture annoncée.

C’est ainsi que j’apprends que ma fille fera probablement partie des premiers enfants à retourner à l’école.

Là-haut, dans les châteaux d’incompétence politique, ils ont dû tirer à la courte paille.

« Hé Gérard, c’est bon à 5 ans, on ne risque rien? C'est ce qu'ils ont dit les doc’? Et puis les parents de ces gamins, ils ont quel âge ? 30 ?35 ?40 ? Allez, c’est encore de la bonne carne, ils résisteront ! »

Attendez, attendez, ce n'est pas fini. Certes il y aura une probable rentrée pour les enfants de grande section, mais seulement sur la base du volontariat. Mais oui, suis-je bête, à 5 ans, on a le sens de la responsabilité !

J’imagine ma fille, sur le seuil de la maison, le poing dressé et l’âme conquérante :

« Ma chère mère, je sais ce que je risque. Allez file moi, mon cartable, mon goûter, mes chips et mon kinder, je vais affronter le monde. Fouette cocher, à l’école ! Palsambleu ! »

Ou alors dans sa chambre, enfilant sa cape de super woman, ses bottes et… son masque…. Evidemment, pas celui pour les yeux comme dans les comix. Non, non, ça c’est tellement 2019 ! Non, en 2020, les super héros, c’est sur la bouche qu’ils le mettent. Voyons !

A moins, que ce ne soit à moi de savoir, de comprendre, de décider si je remets ma petite guerrière en 1ère ligne sur le front, comme ils disent.

Ca donne vachement envie, non, quand il s’agit de la chair de ta chair?

Ma petite résistante. Celle qui sait se taire, se fermer comme une huître quand elle n’est pas d’accord. Celle qui n’aime pas subir. Celle qui contourne les difficultés. Celle qui a saisi les bons outils pour te faire tourner en bourrique quand elle a décidé.

Mais aussi, ce doux chaton, biberonné aux câlins, qui adore les bisous et les loups touche touche. Que va-t-elle conscientiser de ce monde coroné ?

Je crois que je me découvre pessimiste. Ou même, je ne l’avouerai que du bout des lèvres, un brin défaitiste. Ne serait-ce pas un petit relent de dépression ? Oh non, quand même pas…

« Le confinement est un bon moyen pour se recentrer. »

C’est ce qu’elles disaient les copines….

Et bah merci bien. Si c'est pour découvrir que j'oscille entre Droppy et Bourriquet, je serais restée chez moi ! Ah bah non, merde, justement c'est à cause de ça que mon âme tourne au bleu.

Après tout, ça doit être sûrement à cause de ce penchant bien enfoui que j'attire depuis quelques années tous les dépressifs du canton.

« Bah ouech, gros, je fais partie de ton cartel, de ta mafia. Je suis une frangine. »

Mais le moins et le moins se repoussent, c’est bien connu.

Je serai, sans doute, plus lucide à la sortie de ce confinement.

Ma robe est impeccablement repassée, mon cœur ironique et mon sourire flottant.

La dérision me sauvera.

Mes pieds nus s’étalent sur les pierres chaudes de la terrasse.

« Et puis il fait beau », aurait dit la femme parfaite.



Chronique 9 :

Le frémissement

Cela fait deux mois que je suis confinée. Dans une bulle introspective qui s’est imbriquée avec une bulle sur-connectée.

Je n’ai jamais été autant branchée à mon téléphone. La tête penchée vers l'écran qui me renvoie les post facebook, les courriels de mes 3 boîtes mails, les liens youtube, les écoutes soundcloud, les messages whatsApp, les visio messenger, les réunions zoom et le traditionnel mais presque démodé « texto ».

Comme si mon portable était le lien ombilical entre moi et le monde. Entre moi et l’extérieur. Entre moi et l'intérieur des autres. Notre intérieur que nous étalons car nous en avons besoin.

On se refile des éditos, des réflexions, des bouts de reportages, des interviews, des morceaux de bravoure, des parodies perdues, des pans de connerie.

On se saoule avec des images, des mots, des sons.

On fait défiler mille infos à la minute.

Il y a une profusion, une richesse, une envie énorme de partager, depuis chez soi.

L’homme est un animal social, se nourrissant des autres, avec un besoin important de reconnaissance et de chaleur. Et c'est notre téléphone nous reliant à la grande toile d’araignée du web qui nous permet en ce moment de pallier à nos manques.

Il y a un pullulement incroyable de créations. Nous bichonnons notre côté créatif, se révélant être un moyen de survivre à l’état de sidération.

Faire quelque chose de ce temps mort. De nos doutes. De notre incapacité à agir. De notre angoisse résultant du fait que nous ne pouvons pas tout comprendre. De nos projections sombres.

Entre pessimisme et réalisme.

Entre hallucination collective et dérive économique.

Entre anticipation et préservation.

Entre don et méditation.

Nous sommes tous à notre manière des journalistes, des chroniqueurs, dépeignant ce monde obligé de se recroqueviller sur lui-même pour éviter de mourir.

Nos productions, quelqu’elles soient, vidéos drolatiques, politiques, sarcastiques ; web radio d’investigation ou d'une naïveté poétique ; parodies de film ; sous titrages décalés naviguant entre second degré et violence du principe de réalité ; lectures de poèmes ; mots des romanciers ; productions d’écrit ; articles ; peintures ; dessins ; photos ; chansons ; compositions….

Que l’on soit innocent, puissamment intellectuels, bouffons, bleuettes...

Ce confinement agit, comme du poil à gratter, sur nos besoins de créer.

Il y a comme un contre pouvoir de la pensée.

Nous nous sommes tous mis, avec nos moyens, nos envies, nos positionnements, nos expériences, nos vécus, nos arrogances, nos égo, nos fuites, nos chutes, à questionner le système.

A mettre en doute.

A demander des explications.

A chercher.

Nous nous sommes mis à nous interroger sur nos volontés. Et sur la manière d’y arriver.

Nous nous sommes mis à philosopher sur la notion de bonheur et de lâcher prise.

Sur l'importance de l'amour et des liens.

Sur le rapport à la nature et au temps.

Sans le vouloir les gouverneurs, de tous bords et de tous continents, viennent de nous donner une arme immense : l'intelligence collective.

Bien sûr, il y a quelques ratés, puisque la bienveillance n’est pas encore une notion acquise par tous, mais il y a un petit air de révolution intellectuelle. Une petite chansonnette entendue dans le vent qui souffle sous nos crânes.

Nous en avons marre de nous faire prendre pour des cons.

Nous avons les moyens de faire autrement.

Nous voulons être drogués par le bonheur de vivre.

Nous méritons toute leur considération.

Nous sommes puissants.

Nous sommes libres.

Nous sommes responsables.

Nous pouvons demander des comptes

Nous pouvons révoquer.

Nous pouvons résister

Nous pouvons penser.

Nous pouvons aspirer à la quiétude.

Nous pouvons maîtriser.

Nous sommes maîtres de nos envies.

Nous avons la possibilité de les mettre en pratique.

Si, si.

Que restera-t-il de tout cela quand cet épisode sera derrière nous ?

Peut être beaucoup.

Peut être pas grand-chose.

Mais en tout cas, tout acte créatif partagé est un formidable outil de mémoire.

Ne pas oublier, pendant le COVID 19, en l’année 2020, ce frémissement des fourmis laborieuses. Ne pas oublier les émotions qui naissent en nous à la lecture, à la vision, d’un tel ou d’un tel. Nous rapprochant davantage de notre intériorité et de notre extériorité commune.

Ca sera le positif de cette période pénible.

Bien que toutes ces données fournies, tous ces clics, tous ces clacs, toutes ces émotions, ces hauts le cœur, ces productions, ces partages, sont une nourriture magnifique pour la grosse bouche dévoreuse des GAFA.

Les revendant aux industrieux, qui nous cibleront, consumeront, pour la GRANDE consommation.

Rien n'est gratuit, m’a dit un jour quelqu'un, au bout du compte, il y a toujours quelqu’un qui paye.

Oui, peut être allons-nous trinquer.

Mondialement surveillés, nous l’avons accepté.

Alors levons encore plus haut le doigt. Celui du milieu.

Vu qu'ils nous regardent. Faisons le avec panache.



Chronique de confinement 8:

Le ministre de la culture et la dépression

Ce matin j’ai eu cette idée saugrenue de me peser.

Oui, tout le monde en parle, de ce fameux poids du confinement.

Il y a des vidéos sur youtube.

Dans les maigres conversations sociales, on en rigole:

« J’te dis pas à la fin du confinement, je ressemblerai à un loukoum en pleine expansion économique. »

Et bien ça n’a pas loupé. J'ai pris deux kilos. Deux kilos de confinement.

Pourquoi? Je mange plus? Je bois plus? Je bouge moins ? J’angoisse, je gonfle ?

Ou peut être que je me remplis du poids des conneries de notre classe dirigeante….

Oui , peut être, est-ce l’explication de cette petite charge pondérale qui vient de se loger dans mon corps.

Je m’inspecte. Car de toutes façons en ce moment, il n’y a guère que le miroir pour juger mon corps et les répartitions de ma masse graisseuse, guère que lui pour me dire si ce petit chargement supplémentaire est disgracieux ou élégant.

Je ne suis pas bien fière. J’attends le verdict du miroir fébrilement.

Je suis impatiente de savoir ce qu’il va exprimer par rapport à ce petit kilo de connerie pris sans doute à cause de mon cher ministre de la culture.

Car, oui, ce matin, entre le café et le jus d’orange, j’ai eu le grand honneur de connaître sa définition des "festivals ruraux".

Je sais, tout le monde s’en offusque. Moi aussi, je m’étrangle, donc je vais y aller de ma petite bafouille.

D’après ce grand monsieur de la politique, dans la ruralité, dans les territoires reculés et abandonnés, un festival ce serait :

Une scène, quelques musiciens et une cinquantaine de personnes.

Il ne sera donc pas difficile de demander à ces 50 pèlerins de porter un masque, de s’asseoir sur une chaise, chacun à 1m 50 les uns des autres. Se faisant des petits signes élégants de la tête pour se saluer de loin en guettant le moindre éternuement de son voisin de droite.

Alors premièrement Monsieur Le ministre.

Oui, je vais m’adresser directement à vous en cette période solennelle.

Je suis peut être de mauvaise foi. Peut être que je sur-interprète ce que vous avez voulu dire. Peut être que vos propos ont été détournés.

Mais si…Mais si ce n’est pas tout à fait le cas, si vous pensez réellement, que même la plus petite fête de village...Oui, même la saint neuneu, même la foire à la moule, même le tournoi de pétanque de Loc Eguiner, ne rassemble pas plus de cinquante personnes, alors vous vous mettez le doigt dans l’œil si profondément que vous pouvez presque toucher votre intestin grêle.

Un événement rassemblant 50 personnes, c’est une tentative, c’est une première fois, c’est un four, c’est une organisation merdique, c’est une annulation, c’est le lendemain d’une tornade, ou d'une catastrophe nucléaire, c'est la beauté du geste, c'est un apéro sur le port, c'est l'audition de flûte à bec de votre petit dernier à l’école de musique municipale, mais ce n'est pas un festival rural.

Et puis deuxièmement, Monsieur le ministre, ce genre de rassemblement, masqués et distanciés, est-il à souhaiter ?

Evidement, venir voir un spectacle, c’est partager un temps d’écoute, de communion avec le geste artistique, c’est un élan personnel et primitif, mais après c’est pour le décortiquer avec les gens autour.

Nous, les raconteurs d’histoires, nous venons livrer nos esthétismes, nos sens, nos rires, notre technique, nos fantaisies, nos drames, nos choix, nos essais, pour que le public s’en empare, pour lui rentrer dedans, pour lui donner une émotion quelqu’elle soit et que tout cela se brasse, se partage, s’imbrique.

Ce ne sont que des fils qui se tissent entre les gens, des sourires qui se partagent, des déceptions qui s’analysent, des bouffées de tendresse qui se discutent, des chocs du beau qui ne finissent pas de nourrir les conversations.

Voilà un spectacle ce n'est pas juste le temps du spectacle.

C’est aussi « l’après ». C’est le rassemblement. C'est les coups à la buvette. C’est les dragouilles des bords de zinc, c’est les poings tapés par la colère sur les comptoirs, c’est les bouches contre les oreilles pour se parler tout près car la musique est forte, c'est s'attraper par le colbaque pour les bagarreurs qui veulent dégager leur énergie de jeunes loups. C’est partager le souvenir de ce qu’on a vu.

J’imagine les spectacles avec cette distance sociale. A la fin, se tourner vers son voisin masqué et lui dire:

« Et c’était pas mal, hein Jacky? Bon, rentrons vite, le Covid rôde…. On se fait une visio pour débriefer ? »

En même temps, j’y pense, pour les complexés de l’herpès ou de la denture, c’est du pain béni ce masque.

Et plus besoin de trouver une stratégie afin de cacher cet immonde bouton qui vient de nous pousser sur la joue.

Niveau rouge à lèvres, plus d’emmerdes avec le choix des teintes.

Ca me fait penser à cette pub d’une grande parfumerie, que j’ai reçue dans ma boîte mail. « Sublimez votre regard ».

Ah bah ouais, les meufs, là, il va falloir mettre le paquet sur le ricil.

Mon miroir continue à me zieuter. Je me détache de son regard. Ma colère l’amuse sûrement. Il ne dit mot, il consent. Son silence l'honore. Mon miroir est un gentleman.



Chronique de confinement 7 :

La visio


En ces périodes perturbées, je découvre pas mal de choses. Et dans le lot, je découvre "la visio".

Appeler ses amis, soit, mais "cadeau bonus", pouvoir les voir. Je ne sais pas encore si ça me frustre ou me plaît, mais en tout cas, je joue de cet outil. Car toute nouveauté me fait jubiler comme un jeune chat.

Et ce soir je suis en visio avec Paul. Je peux voir ses yeux bleus en amande percer mon écran. Je peux voir son tatouage courir le long de son cou. Les 3 bijoux pendants qui ornent son oreille droite. Ses dents ébréchées. Le scintillement de sa peau. Je peux voir le mauvais chignon qui retient ses longs cheveux trônant au sommet de sa tête et dodelinant aux moindres de ses rires.

J’ai toujours aimé enfouir mes doigts dans ses cheveux en l’appelant « mon poussin ». Pourtant ce soir, ce petit geste complice ne pourra que se raconter et non se vivre. Mon écran me montre aussi sa large carrure de circassien. Je me souviens alors que, oui, Paul, je l'ai toujours trouvé beau.

On est en train de se gausser du monde. Nous demandant si tout cela n'est pas un beau, grand, complexe bluff. On complote. On pouffe. On prend de la distance ironique.

Et puis, me dit-il, il faudra bien le choper ce virus de merde. Il faut que 60% de la population l’ait, afin de créer cette fameuse barrière immunitaire. Ainsi la vie retrouverait, un tant soit peu, de logique. On pourrait de nouveau se rassembler avec pleins d’inconnus « collés-serrés ». Les spectacles pourraient reprendre.

« Pour le bien de notre corporation, je peux faire un effort. « Covid », viens à moi. Mais il faut me promettre que je ne vais pas en mourir. Puis, comme je suis une mauviette, je ne veux pas souffrir, non plus. Il a l’air de bien te secouer le coco, c’te engin. C’est clair que si je pouvais éviter….Mais bon, si on se dit tous ça, on n'est pas sorti de l'auberge. Ca existe sûrement des gens qui aiment avoir mal. Qui n’ont pas peur de mourir. Qui ont le goût du risque. »

Oui, après tout, il a raison. Il suffirait peut être, tout simplement, de passer une annonce afin de recruter tous ces gens sain d’esprit n’ayant pas peur de traverser une épreuve. Voilà, ceux qu'il faut déconfiner en premier !

Nous sommes heureux, connement, de notre raisonnement. On rigole encore un peu de nos bêtises hors temps.

Le visage de Paul se floute par moment. Ou se dépixélise. Ah ça y est, il a regagné toute son intégrité. Et d'un ton à moitié grave, il m’annonce:

« Ouais, en même temps, j’ai un peu déconné avec le confinement. »

Oh. On ouvre un dossier, là. Je lui demande de préciser.

Paul est un grand dragueur. Peut être, un des plus grands dragueurs que je connaisse.

« Je suis allé voir une fille. »

Sortir, juste pour s’acoquiner avec une autre peau, ne faisait pas partie des cases à cocher sur l’attestation dérogatoire.

« J’en pouvais plus. Ca faisait 3 semaines qu’on baisait par téléphone. Il me fallait du concret. »

Je ris. Faire l’amour par les mots peut être une aventure fantasmagorique émouvante. Mais pas pour Paul. Il lui fallait bouffer de la chair. De la vraie. Se satiner de ces rondeurs de soie. Jouer au téléphone, très peu pour lui.

« J'avais l'impression de lui filer ma notice et de mon côté, j’aurais sûrement dû prendre des notes. »

Hé, sweet guy, ça peut être drôle. Non, pas pour Paul, à première vue.

« C’est drôle deux jours. 3 semaines ça commence à te faire autant marrer que si tu te mettais à te découper les jambes avec un canif mal aiguisé, après être tombé dans une crevasse, sans téléphone et avec ta mère. »

Est-ce que le jeu en valait la chandelle? Après tout, si cette fille ne toussait pas...

« Tu sais ce que c’est...C’était prometteur….Il va falloir que j'y retourne. »

Ah mon cher Paul…. N’oublie pas ta dérogation. Car Paul écrit ses attestations. Il les recopie. Il ne les imprime pas. Alors ne parlons pas de les télécharger sur le site officiel. Il a peur du flicage. Il sait bien qu’il triche. Il sait qu’il sort trop.

D’accord, mais trop, c'est quoi?

« Je sais pas, moi, 15 à 20 fois par jour. »

Je m’étouffe avec ma gorgée de tisane. L'eau est projetée sur l'écran. Et les gouttelettes de mon thym-gingembre ruissellent sur mon ordinateur. Non, mais Paul, t'es dingue. 15 à 20 fois par jour.

C'est alors que ce doux fou, eut cette phrase pleine de justesse analytique:

« Je crois que j’ai un problème avec le concept de confinement."

Là, Paul, ce n’est plus un problème. C’est un déni total de la définition même, du mot. Je ris. J’en ai mal au ventre.

Il me sort, à cet instant là, un merveilleux :

« Oui, mais toi, tu es la sagesse incarnée. »

Je me redresse brutalement sur ma chaise. J'ai l’œil qui brille, je lui demande de répéter. Il obtempère. Je suis prise d’un magique élan de bonheur, de don et d’ironie brute. Je me penche sur l'écran de mon ordi et j’embrasse l’image de Paul.

Je suis sage ! Sage !

Ah oui mon petit Paul, face à toi, je ne fais pas le poids.

Je suis sage!

Je vais pouvoir l’annoncer à mes parents, à l’instituteur de ma fille, à ce copain qui n’arrive jamais à me suivre, à cet amant dont j’ai ponctionné l’énergie vitale, à cette copine qui hallucine à chaque fois que je lui raconte une de mes péripéties.

Je suis sage, nananère ! Je suis sage, tralala !

Mais en attendant, pour fêter ça, je vais courir toute nue autour de ma table basse. Y'ala !

Merci Paul, pour ce doux moment de poésie folle et de contre courant étonnant.



Chronique de confinement 6 :

La mascarade des masques


Je suis sur la terrasse. La tête renversée vers ce soleil d'Avril. Un été en avance. Au moment où le monde tourne à l’envers, la nature a décidé de faire un pied de nez à cette humanité qui l’essore. Elle doit se dire :

« Ah, vous voilà enfermés, je me mets, donc, à être des plus séduisantes. Vous ne me touchez que du bout des doigts, alors, je vais devenir des plus séductrices. »

Tout est beau, dehors. Cette chaleur agréable, ces arbres bourgeonnants, ces couleurs luxuriantes, ces rubis et émeraudes en guise de lumière crépusculaire, ce soleil caressant et ces tapis de verdure. Toute la nature s’est parée de ses plus beaux attraits. Elle nous drague aux fenêtres.

Je respire cette beauté. J’y trouve une sorte de sérénité. Mes regards sur ce monde en éclosion, en épanouissement, en rondeurs explosives, sont une des rares choses qui calme mon tempo intérieur galopant.

Mon partenaire de confinement apporte les verres qu’il pose sur la petite table de la terrasse. C’est fou, comme le rituel de l’apéro est devenu vite primordial dans nos vies de confinés. Une sorte d’anxiolytique trouvable en supermarché.

Nous entrechoquons nos verres.

Et surtout, santé.

On se marre.

Notre fille est maintenant assise par terre au milieu du salon, affairée devant les pièces encore éparpillées d’un puzzle, y mettant toute son attention gracile.

La tête penchée sur son portable mon co-détenu COVID 19, s’agite.

Je lui demande si ça va.

Et c’est là que son grand corps commence à se mouvoir. Ses mains parlent plus vite que lui. Il y a cette colère ironique, que j'aime tant, dans sa voix. Il ne comprend pas.

Les gamins vont retourner à l’école.

Les restos et les cinoches, nada !

Mais les gamins au turbin.

On remet les gamins à l’école pour libérer les parents ? Pour récupérer un semblant d’économie nationale? Mais à quel prix? On va remettre en liberté les petites bombes à retardements, les petits vecteurs du virus. On va leur demander sagement de porter un masque, de désinfecter leur crayon de couleur et de se tenir à distance suffisante de leurs petits copains. Et bien sûr, ils vont effectuer les gestes barrières. C'est bien connu, les enfants ont la notion du risque.

Les profs s’aspergeront de liquide hydro alcoolique. S’égosilleront, en tempêtant des :

"Ah non Dylan, tu restes à 1 mètre! Mais voyons, gamin, tu veux ma moooort?!"

Les grand-mères en détresse respiratoire viendront récupérer leurs petites boules de maladie à la sortie d’école. Hé, plus de risque, on va se fabriquer des masques avec des kleenex et des paquets de BN!

Et puis c’est vrai que les instit’ sont payés à rien foutre. Ils n’ont même pas voulu aller cueillir les fraises pour le bien être commun. T’imagines, ils ne pensent qu’à leurs trognes, les hussards de la république!

Et puis toi, qui as 13 ou 16 ans, c’est pas bientôt fini d'aller rouler des galoches derrière le préau à ta copine de classe. C'est fini ce temps là. C'était le temps d’avant.

Avant, tu avais peur du sida. Maintenant tu auras peur du COVID. Les préservatifs, dorénavant, c'est sur la tête qu'il faudra se les enfiler. Et p’tit môme, ne tiens plus la main à ton copain d’enfance. Tu le regardes de loin. Tu joues à chifoumi et tu arrêtes les colins maillards ! Ca va, oui! Ils pigent rien ces mioches !

Je le regarde malicieuse. Je ris jaune. Et rebois une gorgée.

Notre fille a fini son puzzle. C’est une planète ronde avec des enfants qui se tiennent la main au delà des frontières. Je prends sa tête contre mon ventre. Et la félicite. Drôle de monde, hein, ma cocotte…


Chronique de confinement 5 :

Merlin l’enchanteur



On s'est planqué derrière le bac à verres. On a rigolé comme si on avait 16 ans. Et on s’est parlé. De tout , de rien.

De son fils. Ca y est, il fait du vélo. Et sans petites roues, nom de dieu.

De son homme qui bricole.

Des pommiers tremblants du verger.

Des livres si doux à lire, par les temps qui courent. Relire Despentes, Davodeau ou Barmack.

Se plonger dans les silences.

Mettre sa tête au soleil.

Ressortir les robes de printemps.

Sentir la chaleur.

Apprécier la météo d’Avril et voir courir les enfants après les œufs durs ou en chocolat.

Nous nous sommes dit des banalités. Elles font beaucoup du bien.


Continue à me parler ma douce. Tes mots me rentrent dans la chair. Me tourbillonnent. Me font danser en équilibre sommaire sur le sommet de notre petite, toute petite, humanité.


Puis, sous les regards appuyés , nous avons fermés notre minuscule salon de thé à ciel ouvert.


Autour du bac à verre tambourinent les guêpes. Elles me rappellent que bientôt l’été sera là. Et que j’ai la chance de pouvoir voir la mer qui reflète le soleil. Comme une pierre précieuse et vive. La beauté du monde. Elle s’étend sous mes yeux.

Voilà pourquoi j’aime vivre. Je suis vivante. Tellement.

Je reprends la voiture pour retourner dans la maison où je me confine. Une maison dans laquelle vit le père de ma fille. Il m’a recueilli avec toute sa bienveillance, moi qui ai tant de mal avec la solitude.

Je suis une femme libre, mais vorace. Trop vorace pour l’immobilité. Je suis percluse de mes névroses. En temps ordinaire, elles peuvent me rendre charismatique. En ce moment ce sont des boulets. De plomb. Oui, j'ai du plomb collé aux chaussures. Et j’ai du mal à lever les pieds.


Ma fille est devant la télé. Ma toute petite. Mon grand amour. Elle saute sur le bord du canapé. Elle rit. Elle regarde "Merlin l’enchanteur". Elle se tort de rire devant la scène de parade amoureuse des écureuils. Quand Merlin et Arthur, alors transformés en petit animal agile, se font draguer sévère, par les boules de poils rouquines.


La parade amoureuse.


Le temps de l’insouciance, de l’incompréhension, de la fuite.


Cette scène requestionne l'envie, la fluidité, l'évidence des corps, la maladresse de plaire. Et l'attraction de l'autre. Merlin explique alors que l’amour est la plus grande force qui existe sur terre. Plus forte que la gravité. L’amour comme moteur, comme aimant, comme essence. Je suis émue de la voir se bidonner devant une si jolie histoire.

Oui, ma fille, un jour, toi aussi, tu auras le loisir d’aimer, de te tromper, de tomber, de vouloir secourir, aider, bousculer, fuir, trahir, te nicher dedans, t’en repaître ou pleurer pour un amour, femme ou homme. Oui, je te souhaite cette grande épopée qu’est la séduction, l’équipage, le don de soi pour l'autre, la sensation délicieuse de recevoir. Je t’envierai alors cette justesse de vie, moi qui, justement, ne veux pas passer à côté.

Je t'aurai alors appris qu'il faut savoir résister. Qu'il faut garder son esprit critique. Qu’il faut prendre des risques, certes raisonnés, mais que sans cela, on ne sait pas ce que veut dire le verbe « aimer ».


Je remonte mon pantalon. Mes fesses se redessinent dans le tissu noir. Je me sens tranquille, soudain.


Ce qui est drôle, dans ce court dessin animé, c’est qu’il se finit sur un combat de sorciers. Madame Mim’ et Merlin doivent se combattre. Afin de détruire l’autre. Symbole de ce qui se joue dans notre monde actuel.

Avec les éléments de langage utilisés par les puissants.

La guerre est déclarée.

On se combat à coup de dollars ou de marchandises. On assoit son pouvoir sur les uns et sur les autres.


Y a-t-il un bien, un mal ? Un noir, un blanc ? Non, juste le combat. Et il semble nécessaire.


Merlin gagne sur Madame Mim’ en se transformant en .... virus.


Microscopique arme qui terrasse l’affreuse Madame Mim'.


Ah, me dis-je alors, un autre monde est possible?

Je voudrais être manichéenne quand je regarde « Merlin l’enchanteur ». Oui, je voudrais y croire. Croire que de tout cela, germera le bon, l’autre, le différent. Et en plus, le plus tranquillement, le plus gentiment, du monde.


Je tends la main vers ma fille, elle y love sa joue. Tendresse.



Chronique de confinement 4 :

Le Rencard de Pâques



On s’est donné rendez-vous près du bac à verre sur le parking du supermarché. Elle et moi. Il n’y a qu’en période de pandémie planétaire que l’on peut se donner rendez-vous entre copines près d’une grosse poubelle de bouteilles de pinard. Pour louvoyer, pour contourner l’interdit, pour créer des hasards de toutes pièces.

Les fameux :

« Ah mais t’es là , toi ? »

Nous allons donc être l’espace de quelques minutes, elle et moi, hors la loi.

J’ai le ventre qui bondit.

J’ai hâte de la voir.

Oui, voir une amie.

Entendre le vrai son de sa voix. Regarder ses mains qui parlent avec son corps. Regarder ses yeux qui me regardent. Et savoir faire naître un sourire simplement par l’apparition d'une moue dubitative ou d' un haussement de sourcils.

Depuis 4 semaines que je suis confinée, j’ai respecté scrupuleusement les règles. A ma grande surprise. Moi, l’éternelle adolescente qui se joue des limites, adepte de quelques conduites à risque, souvent compulsive et excessive quand la nuit tombe, multipliant les liens inter humains en une journée ordinaire, amoureuse des hommes et des valses séductrices, ne supportant aucun ordre sous prétexte que justement ce sont des ordres...et bien, je n'ai vu personne d'autres que mes partenaires de confinement, depuis 4 semaines…Ce qui correspond à deux individus.

Oui bien sûr, j’ai croisé les caissiers et les caissières derrière leurs masques de fortune. Mais, maintenant, nous nous pressons aux caisses. Nous évitons les conversations. Nous maîtrisons nos postillons. Oui, bien sûr, j’ai vu aussi quelques voisins. Signe de tête. Trois petits mots.

Mais ce n'est pas pareil. Car là, celle que je vais voir, c’est une amie. Une femme avec qui je pourrais parler des jours entiers sans me lasser. Elle fait partie de mon équilibre psychique interne. Elle m’apaise et me voyage. Elle me fait du bien.

Et là, j’en ai besoin. Car 4 semaines, c’est long. Je commence à avoir le cœur en tension. Je sens que j’arrive à la limite de mes capacités. Mes écluses affectives ont besoin de refonctionner, se remplissant et se vidant aux rythmes des bateaux de rires ou d’anecdotes qui traversent les petites conversations entre copines.

Je me détache du périmètre de la femme parfaite qui continue à remplir le coffre de sa Chrysler en biscuits bio et jus de pomme. En m’approchant du bac à verres, où quelques personnes sont déjà entrain de vider leur caissette de bouteilles vides, à coup de grand bruit qui déchire le silence chaud d’un Avril ensoleillé, je la vois en prise avec deux flics.

Ils se tiennent à 2 mètres de la fenêtre de son camion. Les mains gantés et l’œil suspicieux. Je me dis qu’en ces périodes ubuesques, il serait logique d'être un peu moins raisonnable sur notre consommation d’alcool. Ces gendarmes là, ne s’aventureraient pas à proposer un éthylotest ! Notre salive est l’ennemi….. Je ris un peu à l'intérieur de moi.

Elle, elle ne rit pas. Elle a fait parader ses sourires mais à première vue ça n’a pas suffit.

Il faut bien récupérer du fric quelque part.

Avec une économie au ralenti, qui peut payer les fonctionnaires? Si ce n’est les laborieux que nous sommes? Ils ont bien compris cela, les pilotes de notre démocratie. Nous divisant et nous culpabilisant, pourtant, sur cette notion de taxes et d’impôts, évidemment nécessaire à l'élaboration et au bon fonctionnement d'une société de partage, d'effort commun et de justice sociale. Mais que bon nombre d’entre nous contourne et même évite de payer. Parce que personne n’aime être pauvre. Enfin je crois. Personne n’aime avoir la sensation de perdre. D’être essoré. Surtout quand on est pris pour des cons. Comme en ce moment.

Oui, ceux qui s’agitent, dans les palais de gouvernance, ont cette immense outrecuidance de nous prendre pour des cons avec un naturel hors du commun.

On sait tous très bien qu’on va le payer, ce temps suspendu. Ce confinement subi. On va venir racler nos fonds de tiroirs, tirant sur nos cordes sensibles. Nous demandant évidemment de travailler plus, de nous laisser exploiter et humilier par le système. Avec le sourire, s’il vous plaît. Il manquerait plus qu’on se rebiffe, ou qu’on demande des comptes !

Et comme l’humain s’adapte et se nourrit de lumière, il arrivera à se convaincre que l'on ne peut pas faire autrement. Ce coup de couteau dans nos droits au bonheur et à la non aliénation au système capitaliste, que je vois poindre, me fait le même effet que si on m’enfonçait, sans élégance, un manche à balai dans le rectum.

Elle gare son camion un peu plus loin. Elle sort de l'habitacle en faisant claquer bruyamment sa portière.

Je me tiens à 2 mètres 50 d’elle. Les flics nous guettent.

« Mesdames, c’est pas un salon de thé ici! »

Mon majeur se redresse, mais ma main est bien cachée dans mon dos.

Elle leur fait un petit signe de tête.

« Evidemment Messieurs, nous savons que c’est un bac à verres. »




Chronique de confinement 3 :

La femme parfaite


Ca y est, je l’ai rencontrée Elle était sur le parking du supermarché. Elle était là. La femme parfaite. Les cheveux blondis par des mèches, le rouge à lèvres brillant et lisse, le pantacourt ajusté et les sandales à talons. Oui, la femme parfaite.

Celle qui s’en fout qu'il y ait une pandémie mondiale, née d’un marché obscur d’animaux sauvages, propagée par une mondialisation galopante, un commerce ultra libéral, dans une formule systémique d’exploitation de la misère d’une humanité de plus en plus pauvre, au service de quelques puissants qui s’enrichissent chaque jour un peu plus.

Celle qui s’en fout de ce grand scandale politique qui a fait des services publics et de l’hôpital, des produits soumis à la rentabilité et au profit. Celle qui ne s'interroge pas sur le fait qu’un confinement est un modèle de société liberticide qui met à l'amende notre soi-disant démocratie et qui s’est abattu sur nous avec une brutalité qui nous a laissés dans un long état de sidération. Celle qui s’en fout que la planète soit au bord de l’apoplexie. Celle qui s’en fout que des gens puissent mourir en nombre et par la suite, nous serons sans doute soumis à des hausses d’impôts et une paupérisation intensive des classes moyennes dans les pays occidentaux, pour sauver le système économique capitaliste. Seul horizon rentable pour les dirigeants. Celle qui ne se rend pas compte que les droits des minorités et des femmes seront encore remis sur la sellette de la bienséance. Que nous allons sûrement devoir rentrer en résistance pour conserver des acquis et rêver un autre monde. Celle qui s'en fout que la génération qui nous suit, s’habitue à vivre avec des masques, des distances de sécurité et surtout un poids oppressant sur le bide.

Et bien oui, elle s’en fout, car, tu comprends, elle peut faire des gâteaux avec les enfants et profiter du jardin.

Sa deuxième fille commence à lire. Tu te rends compte en grande section ! Alors il faut lui donner des exercices à faire et être avec elle. Elle a un tel appétit de lecture.

Je me remémore la mienne, ma propre fille, du même âge, qui, la veille, pleurait sur les marches de l’escalier.

Me disant :

« Pourquoi je peux pas jouer avec d’autres enfants, hein pourquoi ? »

J’en avais le coeur fendu.

Alors je m'étais penchée vers elle pour la consoler.

Elle ne m’avait rien laissé dire.

Me bouclant le bec avec un :

« De toutes façons, c'est de ta faute, c'est toi qui as fait venir le corona virus. »

Oh mon petit cœur si tu savais…. Je m'en passerais bien de cette oppression invisible, moi aussi.

Et du haut de ses 5 ans, elle s’était redressée comme une reine s’adressant à son peuple.

Elle avait lancé un:

« le coronavirus c’est chiant ».

Mais chez la femme parfaite, les enfants s’amusaient comme des fous, entre le bac à sable et les murs d'escalade. Bah, oui, le jardin est si grand.

Et puis il fait beau, non ?

Je laisse la femme parfaite enfourner un tas de victuailles dans le cul de sa Chrysler et je retourne à mes démons sensibles et utopiques, qui en ce moment me piquent, me terrassent et me questionnent.

Je bouillonne.



Chronique de confinement 2 : 

L'attestation


Ce matin, la voilà partie au volant de son camion. Machine mobile, manège de carrosserie, lui laissant encore sous la plante des pieds cette impression enivrante de liberté. Elle n’est plus très jeune mais loin d’être vieille et elle apprécie le bruit des pneus qui glissent sur l’asphalte à grande allure. Il fait beau. Elle a baissé la vitre. La musique sort très fort des hauts parleurs. Ca fait 4 semaines qu’elle est branchée sur Virgin Radio pour éviter d’entendre les craquelures d’un monde qui se fissure de part en part.

La voilà au volant, en route pour les courses de première nécessité: Rillettes, jus d’orange, eau gazeuse et, oui, bon, d'accord, deux bouteilles de rouge. Elle conduit, elle sourit, le vent s’est enfilé dans ses cheveux. Elle se sent vivante. En ce moment c’est une sensation rare pour elle.

Elle n’a plus que quelques mètres à faire avant d’atteindre le parking du supermarché.

C’est là qu’elle les voit. Ils sont deux. Ils sont bleus. Ils sont en faction à côté de leur voiture. Des flics. Des flics, merde. Elle s'empresse de tapoter sur son tableau de bord, étirant le bras et le corps à la recherche de l’hypothétique papier. Cette putain d’attestation. Mais faut qu'elle arrête de se mentir, elle sait très bien qu'elle a oublié de la remplir. Elle a même oublié jusqu’à son existence avant de sortir de chez elle et de monter dans son camion. Elle a oublié qu’il fallait remplir un papier, un feuillet, une copie de présence, une autorisation de déplacement.

Oui messieurs les agents, j’ai oublié.

Il va falloir qu’elle leur dise, qu'elle leur explique. Elle sert les fesses. Les 135 euros de pénalité, en suspens au dessus de sa tête, la font blêmir.

Mais, c’est pas de sa faute. Non, c’est pas de sa faute.

Est-ce qu’elle peut leur dire qu'elle oublie de payer ses contraventions? Que c'est sa mère qui lui rappelle de remplir sa déclaration d’impôt? Qu’elle ne se rend compte que, quand ses mains attrapent la dernière culotte (celle en coton déchiré sur les côtés) et que sa fille met depuis une semaine des chaussettes dépareillées, qu’il serait peut être temps d’appuyer sur le bouton de la machine à laver pleine à craquer? Que c’est seulement le matin devant la cafetière qu’elle se dit qu'elle a oublié d'acheter son café? Que quand elle était sous pilule, elle l'oubliait plus qu’elle ne la prenait? Est-ce qu’elle peut leur dire qu'elle aurait besoin d'un secrétaire pour lui rappeler toutes ses petites choses qui lui passent carrément au dessus du caisson? Est-ce qu'elle peut leur dire qu’elle est inapte pour la vie réelle ? Pour la logistique ? Pour l'anticipation ?

Comment une femme, comme elle, peut penser à un bout de papier avant de partir faire des courses ?

On n’ est pas égaux, m’sieur l’agent...

Elle s’arrête à leur hauteur. Coupe le moteur. Avale désespérément sa salive. C’est dans des moments pareils qu’elle se désole et qu’elle s'adore en même temps. Les deux hommes s’approchent. Elle les regarde s’approcher…



Chronique 1:

Dialogue avec ma tête


Allez les confinés !

Un bout de couffin ?

Il est venu le temps des confinés. Notre XXI ème siècle, vient de le déposer à nos pieds. Devant nos yeux hallucinés. Ce qu’il y a de pire, c'est que nous perdons toute notion de temporalité. On ne sait pas quand ? On ne sait plus combien de temps? On ne se sait pas vraiment qui est malade ou pas ? On ne teste pas , on ne guérit pas, on attend, on redoute le moment. On ne se sait pas, on ne maîtrise pas. D’autres maîtrisent pour nous.

Depuis combien de temps, ne m’étais-je pas pliée à de telles injonctions ?

« Enfermez-vous. Enfermez-vous, les confinés. »

On ne sait pas si cela servira. On ne sait pas si cela reviendra. On ne nous livre que du flou.

Et l’on sait, pourtant, que du flou naît la peur. Et la peur mortifère nourrit la soumission.

Voilà. Soumise. Je suis soumise. Etonnante acceptation.

Un bout de couffin ?

Non, ouvrez moi un plumard.

Un truc un peu grand, un peu mou, un truc sans forme évidente, un truc à se baquer, un truc à s’effondrer, à se vautrer, à sombrer, à s’oublier.

Donnez-moi une surface, sur laquelle je puisse m’allonger sans que cela ne soit pénible. Juste pour ne pas me rappeler que cette surface sera mon île, le temps des confinés. Une île si petite, moi qui ne sais marcher qu’à grandes enjambées claquées. Une île si petite, moi qui ai le menton si haut pour voir l’horizon. Une île si petite, l’île de ma désolation.

Un bout de couffin ?

Allez, oui, ouvrez moi un plumard.

Que je pleure et me marre de ce qu’on a fait de l’humanité. Sacrifiées, elle et moi, sur l’autel du grand capital. Une humanité froide qui, dorénavant, aura la peur au ventre. Le regard baissé et les distances de sécurité. Une humanité qui marchera sur le bon trottoir, masque collé au nez, se lavant les mains à outrance et évitant les salles bondées. Car l’ennemi n'est plus l'autre, mais bien ce qu’il transporte. Des petits bouts de virus, plus inquiétants que des balles. Car irraisonnés et irraisonnables, ce sont de volatiles enflures qui nous rendent soudain bien vulnérables.

Nous, les grands, devant les enfants, par vidéo interposées, par écrans apparents, on se rappellera, riants, du temps de la liberté.

Celle, toute conne, où l’on buvait à la même bouteille. Où, pour aller aux toilettes dans un bar, on se frottait un peu au gars accoudé au comptoir juste pour s’amuser de cet effet. Quand on pouvait s’asseoir, tous les deux, si près que même les yeux pouvaient se toucher...

Et dis? Tu te souviens? Hein? Quand on se collait joue contre joue, qu’on s'embrassait pour rien, que cela ne coûtait rien, qu’on pouvait même le faire sans y penser? Et dis, tu te souviens, de toutes ces mains sur ton corps? Combien t’ont parcourue? Maintenant on va s’en rappeler, on va les collectionner, on va s’en souvenir, comme de nos histoires de culs.

Et dis? Je peux poser ma tête sur ton épaule ? Non, non... Oui, oui, je sais bien que ce n’est pas raisonnable.

Et bah , merde, bordel, désolée, j'suis vulgaire, mais tant mieux ! Moi ça m’emmerde.

Je veux des têtes sur mes épaules, je veux des grandes embrassades, je veux pouvoir postillonner sur ma voisine de table sans qu’elle en soit horrifiée et que ça continue à nous faire rire. Je veux renverser les tables. Je veux me coller à des inconnus. Je veux me nicher dans les bras de mes amies quand j’ai envie de pleurer. Je veux qu'elles puissent encore essuyer mes larmes avec leurs mains sans gants. Je veux pouvoir t'émouvoir, toi, avec mon corps qui t'échappe, se tend et te tangue. Tu sais, quand je suis si près, mais sans vraiment te toucher. Comment jouer à ce jeu avec une distance de sécurité ? Quelqu’un peut m'expliquer? Quelqu'un peut l'inventer? Je veux valser avec la petite vieille d'en face. Celle qui adore danser, mais que plus personne ne regarde. Je veux passer ma main sur le dos des enfants pour qu’ils s'endorment.

Je veux que mes mains et ma bouche ne soient jamais des dangers.

Un bout de couffin

Oui, oui, ouvrez moi votre plumard .



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1 commentaire


christianerudant
04 avr. 2020

Coucou la Turbulente !

Merci pour ce texte très tactile, voire touchant.

Mais ne t'inquiète pas il reviendra le temps du muguet, des cerises et des fricassées de museaux !

En attendant.... Patience....

Plein de bisous à distance mais pas distants.

Christiane Le Querriou-Rudant

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